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même de chrétien de faire entendre des paroles qui n’étonneront personne en France, et qu’on trouvera peut-être hardies en Belgique.

Lorsque la Providence ajoute une mission patriotique à sa mission religieuse, le clergé doit comprendre qu’il contracte de nouveaux devoirs dans l’exercice desquels il cessera d’être protégé par le respect qu’il inspire à ses fidèles ; il doit exercer sa légitime influence avec la prudence et la modération qui seules peuvent la faire accepter, et se résigner quelquefois à la calomnie pour profiter souvent de la vérité. Il importe qu’il rejette surtout cette falsification hypocrite de l’histoire qui dissimule d’une part tous les abus, afin d’exagérer de l’autre tous les torts. Chargé de l’éducation de la jeunesse, que ses investigations soient larges et sincères, que rien ne signale un parti pris et un thème fait d’avance. Qu’il secoue la poussière des formules pédantesques et dégage l’immuable vérité du vêtement scolastique sous lequel elle étouffe, pour l’orner de l’éclatante couronne que lui préparent les longs travaux de la science humaine ; qu’en ces temps d’action et de lutte incessante, aux vertus naïves qui se développent à l’ombre du cloître, il sache substituer des vertus fortes et libres, ayant conscience d’elles-mêmes, et supérieures aux dangers du monde, non parce qu’elles les ignorent, mais parce qu’elles les méprisent. On devra modifier bien des traditions routinières, résister à bien des influences qu’on s’est accoutumé à considérer comme puissantes et qui trouvent fort doux de se croire telles ; il faudra dépenser de la patience et du courage dans ces luttes obscures et ignorées ; mais le but est grand devant les hommes et devant Dieu.

Nous n’entendons hasarder en terminant nulle conjecture sur l’avenir d’une nationalité faible encore et mal assise dans ses frontières. Il est évident que si les évènemens européens entraînaient la France hors de ses limites avant que la Belgique n’eût acquis ce qui lui manque en esprit militaire et politique, la conquête de ce pays serait facile à faire, peut-être facile à conserver. Mais il faut peu d’années pour qu’un germe que nous croyons vivace jette des racines, s’il est habilement cultivé. Alors la question changerait de face, et la Belgique existerait par un droit supérieur à celui des protocoles.

Toute nationalité à l’ombre de laquelle grandissent des intérêts vraiment distincts, toute société qui n’est pas un obstacle au développement de la civilisation dont les nations chrétiennes ont le dépôt, doit être inviolablement respectée. C’est à la France qu’il appartient de faire consacrer ce principe, bien loin qu’elle ait intérêt à le violer pour son propre compte. Après avoir imposé aux nations le droit sauvage que l’empire couvrit des plis de son glorieux drapeau, le moment est venu pour elle d’essayer d’un autre prestige et de reprendre à la tête des peuples la