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LA BELGIQUE.

égard, la monomanie de la France est universelle, et dès-lors ce n’est plus une monomanie.

En Belgique, au contraire, les positions natives ont encore quelque valeur par elles-mêmes ; la fortune est un principe positif et pas seulement comme chez nous un moyen très éventuel d’influence. Aussi, ce pays, dont l’aristocratie a eu le bonheur d’échapper aux carrosses du roi et aux petits soupers, bonne vieille noblesse flamande restée attablée à la tabagie pour boire le faro et fumer le cigarre ; ce pays qui n’a connu ni les échafauds de Richelieu, ni les salons ambrés de la Pompadour, ni les folies de Coblentz, aurait pu tenter peut-être avec quelque succès la création d’une pairie héréditaire.

Fidèle à la rigueur du principe électif, il n’a pas même osé aller jusqu’à l’inamovibilité. Nous sommes tenté de l’en blâmer : remarquons cependant que l’inamovibilité aurait eu pour résultat nécessaire de créer de grandes positions politiques, d’en faire un besoin et un but pour la vie, et qu’il est fort douteux, ainsi que nous avons déjà eu occasion de le dire, que cette excitation continue soit de mise sur un théâtre aussi circonscrit. Beaucoup de liberté sans éclat, du bien-être sans illustration, moins d’hommes politiques que d’honorables citoyens : voilà, ce semble, la destinée naturelle de cette contrée. Lui suffira-t-elle ? je l’ignore ; mais ce que j’affirme, c’est que si ses vœux dépassent ce but, dans peu d’années la Belgique ne s’appartiendra plus à elle-même.

La loi électorale corrobore par son mécanisme l’action des influences territoriales et religieuses qui dominent les deux chambres, et dont le ministère actuel est l’expression la plus modérée et la plus habile. Le législateur a pris la population pour base unique du droit électoral[1]. Pour rendre ce système possible dans l’application, une sorte d’égalité relative a été établie entre les campagnes et les villes, d’après un cens variable qui s’abaisse jusqu’à 20 florins pour les premières, et peut monter jusqu’à 80 pour les secondes. Cette disposition de la loi, qui donne aux populations rurales environ trente-trois mille dix-huit électeurs, et aux populations urbaines quatorze mille huit cent trente-cinq seulement, est vivement attaquée aujourd’hui par le parti qui l’adopta d’enthousiasme aux premiers temps de la révolution, comme l’une de ses plus belles conquêtes.

Il est difficile de ne pas prévoir une modification plus ou moins éloignée à un pareil état de choses. On ne saurait se dissimuler, en effet, que les villes, grands centres d’industrie et de population, tenteront tous leurs efforts pour se faire relever du quasi-ilotisme qui pèse sur elles. Mais cette

  1. Loi du 3 mars 1831.