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situation analogue à celle qui fut pour la maison de Savoie, toujours menacée et toujours debout, le principe de ses développemens successifs. Le lion belge garde quelque chose de plus précieux encore que l’entrée de l’Italie, et son alliance sera recherchée au même titre que le fut si long-temps celle du geôlier des Alpes. Une monarchie établie dans une position semblable n’est pas, autant qu’on le croit, à la merci des évènemens extérieurs. Si elle doit mourir, ce sera faute d’habileté plutôt que faute de ressources. Il faut de spécieux prétextes pour rayer de la liste des nations un peuple qui veut vivre. On n’en manqua pas contre la Pologne, abîmée dans l’anarchie ; et quand Napoléon acheva Venise, elle n’avait conservé de son antique grandeur que la mascarade du Bucentaure.

Il peut se faire que la Belgique se laisse envahir elle-même par des doutes et des arrière-pensées qui lui seraient mortels ; on pourrait craindre surtout pour elle qu’elle se laissât traîner à la remorque des idées françaises, au point d’avoir tous les inconvéniens de nos institutions sans aucun de leurs avantages, et qu’en négligeant de développer les élémens de sa vitalité propre, elle n’avançât elle-même le jour de son absorption au sein d’une puissante unité. Ce que ses hommes d’état doivent donc demander aux institutions politiques, c’est moins la perfection du mécanisme des nôtres, qu’un moyen de développement pour le génie belge dans ce qu’il a de natif. Il importe moins à ce pays d’avoir d’excellentes lois et une administration habile, que des lois et une administration nationales. Se distinguer de la France par une large extension des libertés provinciales et communales, si long-temps pratiquées dans les Pays-Bas, par des applications nombreuses et fécondes du principe d’association, étranger à nos habitudes, et que les Belges manient mieux que nous ; fonder un régime simple et modeste, qui ne donne pas de prime aux hautes ambitions politiques, instrumens nécessaires de la gloire des grands états, dangereuses et mal à l’aise sur un étroit théâtre ; appeler au gouvernement les influences naturelles en les douant graduellement de l’aptitude qui leur manque ; combiner enfin l’esprit agricole et local de la Suisse avec le génie commercial et entreprenant de la Hollande et des villes anséatiques : telle devrait être la constante préoccupation des hommes appelés à préparer les destinées de la Belgique.

C’est en partant de cette idée que nous jetterons un rapide coup d’œil sur la constitution politique que ce pays s’est donnée, au sortir de sa révolution, et sur l’ensemble de son régime administratif, cette seconde constitution des nations modernes, plus importante encore que la première.

Ces institutions peuvent être envisagées sous trois rapports divers :