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REVUE DES DEUX MONDES.

M. Fulchiron ne veut pas non plus que l’argent de l’état soit employé à entretenir les crimes dramatiques et le triomphe des femmes impudiques sur les légitimes épouses, qu’on voit dans tous les drames modernes et dans tous les drames anciens, depuis Eschyle jusqu’à Racine, aurait pu ajouter le grand tragique qui siége à la chambre des députés. M. Fulchiron ne veut pas plus d’enjambemens moraux que d’enjambemens poétiques. Les enjambemens lui paraissent non-seulement vicieux, mais effroyables. Les tragédies de M. Fulchiron, qui dorment dans les cartons du Théâtre-Français ou ailleurs, et qui n’ont jamais pu enjamber la scène, gardent une terrible rancune à leurs sœurs cadettes, les tragédies actuelles.

Sérieusement, que veut dire tout ceci ? M. Dupin quitte son fauteuil pour régenter les auteurs après M. Fulchiron ; il leur demande de lui faire des Champmeslé, des Lecouvreur, des Lekain ; son oreille est blessée des fautes de langue qu’il entend au théâtre, lui qui siége journellement à la chambre des députés ; il engage les auteurs à ne pas songer à l’argent, en leur citant Voltaire, Racine et Molière, qui étaient riches tous les trois, et qui avaient des maisons de ville et des maisons de campagne, tout comme M. Mélesville, M. Bayard et M. Scribe. M. Auguis se prend aux singes, et il ne veut pas que le Jardin des Plantes les loge magnifiquement. M. Dupin en veut aux auteurs, M. Fulchiron aux drames. Pour la chambre, elle consent à voter la subvention du Théâtre-Français et celle de l’Opéra-Comique, mais elle veut que cette subvention soit répartie d’une certaine façon ; elle veut que les théâtres prennent la marche qui lui convient. Que ne fait-elle déposer les traités avec les auteurs et les engagemens des comédiens sur le bureau du président ? on discuterait sur les primes de M. Scribe, sur les feux de Mlle Mars et de Mlle Dupont, de Faure et de Firmin ; on pourrait aussi apporter à la chambre les drames et les comédies reçus et en répétition, M. Fulchiron corrigerait les fautes de français de M. de Vigny ; M. Auguis ajouterait quelques traits d’esprit aux comédies de M. Scribe, et M. Viennet referait les vers de M. Victor Hugo. La chambre voterait alors ces subventions en connaissance de cause ; elle serait sûre que le Théâtre-Français remplirait la condition sine qua non de M. Fulchiron, qui est de parler français, comme l’entend M. Fulchiron ; elle s’arrangerait pour que les auteurs actuels ne puissent devenir aussi riches que l’étaient Molière et Voltaire, et que l’est M. Dupin ; et elle administrerait la littérature comme elle administre les arts et les monumens, avec cette finesse et ce tact exquis qui ont toujours distingué les assemblées législatives.

Au reste, M. Fulchiron devrait être satisfait : le Théâtre-Français, dont il s’occupe avec tant de sollicitude, ne vient-il pas de donner une comédie tout-à-fait dans le goût et la poétique de M. Fulchiron ? Nous n’avons rien à dire de la comédie nouvelle ; mais nous nous proposons de traiter prochainement la question du théâtre en France.


F. BULOZ.