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les suspecte de vouloir faire dominer les leurs dans cette question. Et c’est là surtout ce qui importe à la France, ce qui doit lui donner de la force et de l’autorité dans les conférences et dans les congrès.

Il en est ainsi de l’Espagne. Il est évident que la France n’attend pas une occasion d’intervenir dans ce pays. Il y a long-temps que cette occasion s’est présentée, et soit par une cause, soit par une autre, soit à tort ou à raison, la France a résisté à tous les appels de l’Espagne, à tous les reproches qu’on lui faisait ici ; elle est restée sur ses armes, aidant encore là de son crédit, de sa position, de son influence, de son assistance indirecte, mais respectant la liberté et l’indépendance des nations voisines, même dans leurs désordres et dans leurs écarts. Maintenant la question de l’intervention, que la mauvaise position de don Carlos éloigne presque entièrement, se trouve ainsi dépouillée de tout ce qu’elle avait d’irritant pour l’Europe ; si elle avait jamais lieu, elle se ferait, non pas d’un consentement unanime, mais sans trop de débats ; elle n’amènerait pas la rupture des relations entre les puissances du nord et la France ; ce serait une question telle que la question de la Grèce, de la mer Noire et de la Pologne, un sujet de discussions et de notes diplomatiques, mais non de guerre ou même d’armement.

Nous n’aurons pas non plus la guerre avec la Suisse, ni même avec le demi-canton de Bâle, qui avait posé la main sur la garde de son épée, et semblait vouloir en percer M. de Broglie. Mieux informés sur cette question, nous croyons savoir que dans ce débat compliqué, la fausse interprétation des traités n’appartenait pas à M. de Broglie. Les frères Wahl avaient acquis le titre de propriétaires dans la commune de Reinach, d’après les clauses d’une loi de 1821, qui abrogeait les vieilles proscriptions établies à Bâle en 1816 contre les Israélites. On sait que le canton de Bâle a vu s’opérer à cette époque, dans son sein, une de ces révolutions que Mme de Staël, qui en voyait souvent de semblables des croisées de son château, appelait une tempête dans un verre d’eau. Cette tempête a cependant failli retentir en Europe. La campagne de Bâle, lasse du joug aristocratique de la ville de Bâle, se sépara d’elle, et se constitua en un gouvernement séparé, qui devait être démocratique de sa nature et par son origine, et qui le fut en effet à son début, comme le prouve la constitution qui fut promulguée. Mais depuis une aristocratie campagnarde s’étant formée dans le nouveau canton, elle s’appliqua à éluder ou à détruire les institutions de 1821, sur lesquelles s’étaient fondées les frères Wahl de Mulhouse, quand, malgré leur nom d’Israélites, ils acquirent ce domaine de Reinach, qui a causé tant d’embarras à la Suisse et à la France. Expatriés de ce domaine, dépouillés violemment de leur acquisition, les frères Wahl durent s’adresser au gouvernement français, leur protecteur naturel, qui les soutint en effet, et qui le fit avec vigueur. On sait que tous les citoyens de Bâle-Campagne établis en Alsace ont été expulsés par M. de Broglie, que la campagne de Bâle a été rayée des relations de la France ; mais l’énergie de M. de Broglie était toujours accompagnée d’un élément contraire, d’une inflexible raideur qui l’empêchait d’admettre une transaction, même quand elle devait avoir lieu