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seau qui roule assez de poussière d’or pour faire supposer des mines abondantes dans la Sierra voisine. Mais celui qui se hasarderait à les exploiter, serait à peu près sûr de travailler pour les autres. Cette province, la plus petite et la plus pauvre, la moins peuplée de toutes les provinces du sud, pourrait être la plus riche.

Nous rencontrâmes dans la rue un des soldats à poncho rouge de l’escadron d’élite qui formait le noyau des montoneros ; nous le priâmes de nous conduire auprès de son général. Au milieu d’une cour spacieuse étaient entassés des armes, des harnais de chevaux, des équipages de toute espèce ; on voulait de nouveau tenter un coup de main. Deux sentinelles, armées jusqu’aux dents, se tenaient à l’entrée. Quelques chevaux volés dans la province ennemie erraient dans le corral ; le vieux soldat tira son bonnet rouge, ouvrit doucement une petite porte : c’était là le sanctuaire, le conseil de l’état-major, l’assemblée où s’agitait le sort de Cordova. Un jeune homme pâle et souffrant, couché dans son manteau, se souleva sur le coude, et continua de dormir, autant que le pouvait permettre une blessure au front. D’autres chefs attaquèrent avec leurs longs coutelas un morceau de bœuf piqué sur une broche de bois au milieu de l’appartement. C’étaient presque tous d’anciens soldats de Bolivar, ennemis de la paix, et surtout d’une demi-solde dont on touche rarement la première piastre. Enfin, dans un coin, un autre groupe plus curieux attira notre attention : deux officiers, plongés dans un silence interrompu de loin en loin par un jurement énergique, jouaient aux cartes, non sur un tambour, ce qui eût été plus commode, mais sur une tête de bœuf couverte d’un cuir. Ce qu’ils jouaient ainsi, ce n’était pas leur argent, ils n’en avaient plus, ni leurs armes, elles étaient utiles à chacun, c’était la fortune du gouverneur, qui les avait déjà battus, et qu’ils voulaient de nouveau attaquer avec cinquante hommes !


Th. Pavie.