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LES MONTONEROS.

milieu des partidas suertas ; des feux isolés perçaient les ombres du crépuscule, et tant qu’il fit un jour, nous tînmes nos regards fixés sur le groupe de cavaliers qui flairait la galère du haut du vallon.

Le lendemain nous arrivâmes au Rio Cuarto. En traversant la rivière de ce nom à cent pas de la ville, nous vîmes venir vers nous un chariot traîné par des bœufs et escorté par une troupe de soldats armés de lances. Au fond de cette prison ambulante gisait un officier, pâle et souffrant, les fers aux pieds, les mains liées, que l’on conduisait au camp, sans doute pour le fusiller : c’était un officier de montoneros. À cette heure du jour on faisait la sieste ; personne ne parut aux portes. Deux autruches apprivoisés se promenaient gravement dans les rues ; sur la grande place, des soldats du régiment des auxiliaires des Andes dormaient autour de leurs feux, et quelques dragons aux manteaux verts, appuyés sur les affûts, montaient la garde autour de quatre pièces de campagne.

L’autorité civile et militaire avait passé tout entière entre les mains du commandant. Retiré au fond d’un grand appartement un peu plus propre qu’une grange, cet important personnage était assis avec deux aides-de-camp sur de vieux fauteuils vermoulus, et lisait à haute voix de sales chiffons de papier. À chaque alinéa, les mains de ces trois individus plongeaient, à défaut de fourchettes, dans un plat de terre chargé de tranches de bœuf rôti, et les moustaches des convives trempaient alternativement dans le même pot de terre. Ce modeste repas achevé, le commandant lâcha le ceinturon de son sabre, et se mit à se promener avec dignité dans son palais en distribuant des ordres aux soldats qui attendaient à la porte, les jambes croisées, la tête sur le cou de leurs chevaux : — Allez dire aux milices de Tegua que je suis content de leur conduite, — que le district du Sauce m’envoie immédiatement cinquante cavaliers. — Et l’exprès disparaissait dans un nuage de poussière. — Ah ! messieurs, ajouta-t-il en repliant nos passeports, les montoneros sont aux abois ; je les harcèle, nos troupes couvrent la campagne ; belles troupes, messieurs, on a vu des compagnies entières avoir des souliers ! Mais ce qu’il se garda bien de dire, c’est la promptitude avec laquelle il avait lui-même viré de bord, et changé en soldats du gouverneur les milices levées peut-être pour secourir les montoneros qu’il appelait si hautement rebelles et bandits. Les soumissions lui arrivaient de toutes parts, et son dévouement sonna