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L’ESPAGNE EN 1835.

lui de délicatesse et de légèreté. À l’autre extrémité de la ville est un monument non moins précieux à étudier, pour l’histoire de l’art ; c’est l’église de Saint-Jean-des-Rois, San-Juan-de-los-Reyes. Bâtie en ex-voto par le roi Ferdinand et la reine Isabelle, quelque temps avant la conquête de Grenade, c’est-à-dire dans les quinze ou vingt dernières années du xve siècle, elle marque le point fixe où l’art gothique abdique aux mains de la renaissance ; la fusion des deux styles est sensible surtout dans le cloître attenant à l’église ; sans être tout-à-fait encore le nouveau mode, ce n’est pourtant déjà plus l’ancien ; l’ogive règne bien encore, mais la ligne s’arrondit et aspire au cercle ; on assiste à la transformation, on la voit s’opérer insensiblement, et ce passage lent et graduel est plein d’intérêt. Pris en lui-même, le cloître est d’un travail exquis ; malheureusement il est à demi ruiné, mais les outrages du temps et le vandalisme des hommes ont respecté des détails dignes d’une éternelle admiration. L’extérieur de l’église offre les mêmes caractères, malgré les honteuses mutilations qu’elle a souffertes, et les additions barbares qu’on lui a imposées. Les chaînes suspendues tout autour sont les fers des captifs chrétiens trouvés lors de la conquête de Grenade dans les prisons de l’Infidèle.

L’Infidèle, lui aussi, a laissé sa pensée et son œuvre au sein de la cité chrétienne ; la Porte du Soleil est là telle qu’il l’a bâtie avec ses arabesques et son arc en trois quarts de cercle ; du reste, la courbure sacramentelle de la ligne moresque se retrouve en mille lieux ; plus d’un minaret a été transformé en clocher, et la petite église de Saint-Roman n’est elle-même qu’une ancienne mosquée convertie telle quelle en temple chrétien ; elle n’a fait que changer de Dieu, elle n’a pas changé de forme. Il n’est pas jusqu’aux Juifs, qui n’aient payé leur tribut à la grande galerie architecturale de Tolède ; j’y connais pour ma part deux synagogues christianisées : l’une s’appelle aujourd’hui l’église del Transito, l’autre est Santa-Maria-la-Blanca ; malgré leur changement de culte, la figure primitive, qui est un carré long, a été conservée intacte, ainsi que les inscriptions hébraïques qui décorent le pourtour intérieur.

Quant aux Romains, on voit d’eux, près du pont d’Alcantara, un débris d’aqueduc où leur grandeur est empreinte, et l’on reconnaît encore, sous les remparts, la place d’un cirque dont l’intolérance du moyen-âge avait fait un bûcher pour les Juifs ; de là son nom actuel