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les deux collines ; tantôt la ville apparaît hérissée de ses innombrables clochers, puis le rideau retombe, et enfermé dans une gorge déserte et muette, on pourrait se croire tout d’un coup transporté dans quelque solitude primitive. Ces brusques alternatives ont un grand charme, elles impriment à ce paysage austère et mélancolique un singulier cachet d’originalité.

Si l’on veut prendre la ville pour point de départ, c’est à l’Alcazar qu’il faut monter ; bâti au lieu le plus éminent de la cité, il en est le belvéder naturel ; l’œil la saisit de là par toutes ses faces ; d’un côté on la domine à vol d’oiseau, de l’autre on la prend en flanc. C’est vue ainsi, de profil, qu’elle est le plus pittoresque, car du même regard on embrasse elle d’abord, puis le fleuve et ses deux ponts, la montagne de la Virgen avec ses roches brisées et bouleversées, comme si la main des fabuleux Titans eût tenté de s’en faire un marchepied vers le ciel. Les cigarrales couronnent le tableau d’un bandeau d’oliviers.

L’Alcazar lui-même est un monument grandiose, quoique à demi ruiné ; incendié au siècle dernier par les troupes portugaises, il ne s’est jamais relevé entièrement de ses décombres ; l’intérieur est inhabitable, mais la coque extérieure est intacte ; c’est un édifice rectiligne d’une simplicité tout-à-fait bramantesque ; la sévère ligne vitruvienne y triomphe dans toute sa majesté. L’escalier est magnifique et la colonnade de la cour digne de lui servir de vestibule ; les colonnes sont de granit, taillées d’un seul bloc, et hautes de vingt pieds. Du reste, ce luxe de granit est commun à tous les édifices de Tolède ; colonnes ou pilastres, il affecte toutes les formes et orne toutes les cours, celles même des plus humbles maisons. Il règne dans les édifices publics de Tolède une variété de style attachante ; passant de l’un à l’autre, on peut faire un cours complet d’architecture ; chaque école, chaque siècle a là son modèle, depuis le rococo du xviiie siècle et le grec bâtard du xixe jusqu’au goth pur et au romain, en passant par le vitruvien restauré de l’Alcazar, par la renaissance et le moresque. La renaissance est représentée par un bijou qu’on voudrait mettre sous verre, comme le célèbre Campanile du Giotto ; c’est l’Hospice des enfans trouvés, Casa de los niños expositos. La façade est de marbre blanc et d’une grace parfaite, mais l’escalier surtout, quoique mal tenu et mutilé, est un chef-d’œuvre d’élégance et de bon goût ; le cloître rivalise avec