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plus d’un sur les grandes routes, et j’en ai eu pour criado dans plus d’une ville. Le costume est en tout conforme à la tradition. C’est toujours le haut chapeau plat sans ailes, comme le claque d’Arlequin, et le manteau noir drapé à l’antique. Ce manteau, qui ne se dépose jamais, semble former à lui seul tout le vêtement, et il cache des mystères qu’il serait imprudent de vouloir pénétrer, car le désordre et la saleté sont les statuts fondamentaux de l’ordre universitaire. Un estudiante dont le claque n’est pas déchiré et le manteau en guenilles n’est pas digne de prendre place au sein de la docte confrérie.

Ainsi enharnachés, les fougueux étalons des quatre facultés avaient rompu leur chaîne et s’étaient précipités sur la place publique. Ils s’y comportaient en maîtres, et couvraient de leurs clameurs patriotiques la détonation des grenades et les pétards de l’artificier. Ce sont eux qui entonnaient l’hymne de Riégo ; la Tragala partait de leurs rangs, et ils ne manquaient jamais d’ajouter au cri officiel de Viva la reyña ! le cri suspect de Viva la niña ! Or, ceci est un calembour : niña est le féminin de niño, qui veut dire enfant et peut s’appliquer à la petite reine Isabelle ; mais le mot est à double entente, et dans le vocabulaire cabalistique des exaltados, Viva la niña ! veut dire Vive la Constitution de 1812 ! Attaquant de l’œil et du geste les mantilles coquettes qui sillonnaient mystérieusement la place, les don Juan de carrefour attachaient un troisième sens, mais un sens galant, au mot séditieux, et du même coup qu’elle ébranlait la monarchie, la voix des hardis tribuns allait troubler dans la foule la vertu des manolas[1].

La place de la cathédrale est fermée, d’un côté, par un palais orné de colonnes légères et percé d’élégantes arcades ; la terrasse qui le couronne est défendue par une balustrade de pierre d’un effet charmant, et la grace harmonieuse de l’édifice reporte aux derniers beaux jours de l’architecture espagnole ; ce palais est l’Hôtel-de-Ville, Casa del Ayuntamiento. J’ai été frappé de la leçon donnée en vers aux magistrats qui vont traiter des affaires de la cité dans le sanctuaire municipal ; elle est placée au milieu de l’escalier de manière à n’échapper à personne, et malgré le concetto tout-à-fait castillan qui la termine, elle pourrait être écrite avec profit au

  1. Grisettes castillanes