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trois bras principaux devra-t-elle s’arrêter ? Lui faudra-t-il faire disparaître la Hollande et recommencer Napoléon ?

Je ne crois pas, pour mon compte, que le drapeau de la France, ce dieu terme de ses frontières, doive y demeurer à tout jamais immobile. Dans cet avenir, dont on se trouve quelquefois conduit à envisager les éventualités si incertaines, je pense que les unes pourront reculer, que d’autres seront infailliblement rectifiées ; mais je vois surtout grandir l’influence de ma patrie à mesure que se fixeront ses destinées politiques, et qu’elle comprendra mieux le rôle de modération et de haut arbitrage qui semble se préparer pour elle. On peut supposer, ce me semble, sans manquer de patriotisme, que la France ne sera pas seule appelée à profiter des changemens que subiraient, par exemple, les pays limitrophes du Rhin. Alors, si la Belgique existe encore, et qu’elle vive d’une vie qui lui soit propre ; si un gouvernement habile a tendu le ressort de l’esprit public, aujourd’hui relâché, et qu’en satisfaisant aux intérêts moraux et matériels, il ait rendu ce peuple confiant dans sa nationalité et disposé à la défendre ; si la Belgique a jeté en Europe les racines qui lui manquent encore, l’heureuse combinaison d’un état respectable entre la France et l’Allemagne pourrait se réaliser avec des principes de cohésion et de durée, qui manquaient à l’œuvre du congrès de Vienne.

Pendant vingt ans, les provinces rhénanes ont reçu comme la Belgique l’action des idées françaises ; elles en sont restées empreintes sans devenir cependant plus françaises que cette contrée elle-même. Ces populations sont profondément religieuses ; le catholicisme rencontre sur le Rhin les mêmes obstacles que le roi Guillaume regrette peut-être aujourd’hui de lui avoir imprudemment suscités. Ces affinités sont puissantes ; les relations commerciales qui s’établissent entre Anvers et Cologne ne le seront pas moins. Bien des vieux souvenirs pourraient se réveiller, bien des convenances nouvelles viendraient à coup sûr les sanctionner ; et un jour venant, l’Europe et l’Allemagne elle-même pourraient bien se féliciter de ce qui leur inspirerait aujourd’hui de justes inquiétudes.

Je comprends qu’un vieil état s’arrête et rétrograde après avoir parachevé son œuvre. Le Portugal et l’Espagne, la Saxe, le Danemark, la Suède, sont dans ce cas ; de bien plus grandes puissances luttent vainement aujourd’hui contre le mouvement européen qui tend à les abaisser ; mais je ne saurais concevoir une nation née d’hier, prenant au sérieux sa neutralité perpétuelle, quoiqu’il lui faille, même après un arrangement avec la Hollande, entretenir une armée nombreuse, et renonçant à l’espoir de recueillir en aucun cas le fruit de sa prudence et de son courage. Quelle que pût être la régularité apparente de sa vie politique, je me dirais qu’un tel peuple est sans avenir. Quels que fussent, au contraire, les em-