Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.
47
VOYAGES DE GABRIEL PAYOT.

— Oui, monsieur, me répondit-il, et vous y avez loué ce matin un logement au premier, qui ne vous coûte que 100 francs de plus que celui-ci, qui est au troisième.

— C’est bien ; seulement vous vous informerez pourquoi on écrit la rue Bleu sans e,

— Oui, monsieur. — Je rentrai dans ma chambre et me remis au lit.

— Vous voyez, reprit François, que monsieur ne trouve pas que ce soit trop cher.

— C’est bien, tu auras tes 25 francs, mais tu te chargeras de savoir pourquoi on écrit la rue Bleu sans e.

— Et à qui faut-il que je demande cela ?

— C’est ton affaire.

— Alors on verra à s’informer, dit François.

La fin de ce dialogue me confirma dans une idée qui m’était déjà venue il y avait long-temps : c’est que Joseph faisait cirer mes bottes par le concierge, et faire ses courses par François, et que la seule peine que cette partie de mon service lui coûtait, était d’ajouter à ma note mensuelle quinze francs de ports de lettres que je n’avais pas reçues.

C’est chose déplaisante d’être volé par son valet-de-chambre, d’autant plus qu’il vous prend pour un imbécille, ce qui l’entraîne tout naturellement à vous manquer de respect ; mais c’est chose plus désagréable encore de changer une figure à laquelle on est habitué, pour une figure à laquelle on ne s’habituera peut-être pas. Il faut un an au moins pour lever le masque qui couvre un nouveau visage, et encore faut-il supposer qu’on n’ait guère que cela à faire.

Malheureusement pour ma bourse, et heureusement pour Joseph, j’avais en ce moment autre chose à faire, Angèle, je crois. Je décidai donc que je continuerais à me laisser voler.

Je venais de prendre cette détermination, lorsqu’une nouvelle discussion s’éleva dans l’antichambre.

— Monsieur n’y est pas, disait Joseph.

— Oh ! je sais bien, répondait une voix qui ne m’était pas inconnue, on m’avait prévenu qu’à Paris on n’y était jamais.

— Monsieur est sorti.

— Sorti à huit heures ! c’est bon dans nos montagnes, là ; mais