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POÉSIE POPULAIRE DE LA HOLLANDE.

son voile, croit qu’elle est morte, et se tue ; et elle se tue aussi, afin de le rejoindre dans un autre monde. Trois jeunes filles s’en vont, l’hiver, pieds nus dans la neige : elles parlent de leur amour, et ne sentent pas le froid. L’une d’elles pleure, car son amant est mort ; les autres l’engagent à en choisir un autre ; mais elle s’écrie : « Oh ! non, jamais la joie n’entrera dans mon cœur ! Oh ! non, jamais je ne pourrai avoir un autre amour ! Adieu, je m’en vais mourir sous le tilleul où mon amant est mort. » Une femme est assise au bord du sentier, la tête cachée dans ses mains, les yeux baignés de larmes. Un chevalier arrive, et lui demande pourquoi elle pleure. « Hélas ! dit-elle, j’attends depuis sept ans celui que j’aime, et je n’en ai plus de nouvelles ! — Je le connais, s’écrie le chevalier ; il est dans la Zélande ; il est amoureux de plusieurs femmes, et plusieurs femmes l’aiment. » La malheureuse n’exhale aucun murmure, ne fait entendre aucun reproche. — Oh ! puisse-t-il être heureux ! dit-elle ; puissent celles qui l’aiment être heureuses aussi ! puissent-ils tous avoir autant de joie qu’il y a d’étoiles au ciel ! Le chevalier lui présente une chaîne d’or, et tente de la séduire. Mais elle repousse ses offres. — Quand vous me donneriez une chaîne d’or assez grande pour unir la terre au ciel, vous ne m’empêcheriez pas de rester fidèle à celui que j’ai aimé et attendu depuis sept ans.

Un autre trait distinctif de ces ballades, c’est le culte de la beauté qui s’y révèle, et le sentiment d’honneur chevaleresque qu’elles expriment. Partout où la beauté apparaît, les distances de rang s’effacent. Le chevalier épouse la fille du paysan ; le margrave conduit dans son château la blonde enfant d’un de ses serfs ; celle qui, hier encore, gardait les troupeaux dans les champs, quitte ses vêtemens de bergère, devient reine, et les fiers barons eux-mêmes reconnaissent son titre de reine dans le charme de son sourire et la douce expression de ses yeux. Mais en même temps, ces hommes qui s’agenouillent devant la beauté et courbent humblement le front sous une main de jeune fille, ces hommes se relèvent avec orgueil à l’aspect d’un rival ; et s’ils reçoivent une injure, ils sont inflexibles dans leur colère, implacables dans leur vengeance. La ballade la plus célèbre de ce genre est celle du comte de Floris. Il a séduit la femme de Gérard de Velsen, et Gérard le tue, mais quelque temps après, les amis du comte de Floris veulent venger sa mort ; ils s’emparent de son ennemi, le torturent, l’enferment dans un tonneau hérissé de pointes de fer, puis lui demandent avec une sanglante ironie : « Comment te trouves-tu à présent, ô Gérard-le-Grand ? » Et Gérard leur répond « Je suis comme j’étais quand ma main fit mourir votre ami le comte Floris. »

Voici deux autres ballades qui me semblent résumer assez bien le caractère général de ces chants populaires, L’une ressemble à un vague re-