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et depuis sa sortie du ministère, toutes ses démarches ont été marquées d’une noblesse qui n’est qu’à lui. Ainsi, quand, dans l’interrègne ministériel, M. Guizot s’agita pour obtenir la présidence de la chambre des députés, à l’insu de M. Thiers, qui avait eu, mais ouvertement, la même pensée, M. de Broglie ne soutint pas M. Guizot. Plus tard, lorsque la séparation des membres de l’ancien cabinet devint indispensable, ce fut M. de Broglie qui contribua à faire cesser les hésitations de M. Thiers, qui reculait devant la présidence ; et la manière dont M. de Broglie a soutenu le nouveau ministère dans la discussion de la loi des chemins vicinaux prouve assez qu’il ne lui tendait pas un piége. Cette petite scène ministérielle, où M. se Broglie invita M. Thiers à le remplacer, mérite d’être contée. Las d’être si long-temps sans ministres, le roi convoqua aux Tuileries tout son ancien cabinet ; là, il dit aux membres du conseil qu’une situation aussi équivoque ne pouvait durer plus long-temps, et il leur demanda s’ils se sentaient le courage de se présenter en masse devant la chambre, malgré le vote en faveur de la réduction. L’hésitation fut grande ; mais le roi la termina en disant aux ministres qu’ils n’avaient qu’une alternative : se présenter à la chambre et reprendre leurs places comme si rien ne s’était passé, ou se séparer, et autoriser M. Thiers à former un cabinet dont il aurait la présidence. — Le premier mot d’assentiment vint de M. de Broglie, et, certes, ce fut le plus sincère, le seul sincère, devrais-je ajouter.

Ce qui a manqué à M. de Broglie dans cette longue carrière politique qu’il a suivie, et que nous venons de parcourir rapidement, ce n’est ni l’autorité du caractère, ni le courage, ni l’instruction, ni l’esprit, car il a un esprit profond et original, c’est un peu de tact et d’abandon. M. de Broglie a été homme d’état de trop bonne heure ; il s’était fait un monde politique, il l’avait trouvé dans les livres, avant que d’entrer dans le monde réel, et quand les faits vinrent déranger ses théories, il détourna les yeux pour ne pas les voir, et ses théories restèrent ce qu’elles étaient. Pendant que le monde s’agitait et se remuait autour de M. de Broglie, lui, il restait immobile, attendant patiemment, mais vainement, l’heure de ramener le monde à lui ; car le monde, vous le savez, ne revient sur ses pas pour personne. L’exemple de M. de Broglie prouve que la science, l’étude, l’esprit et les plus nobles qualités, ne suffisent