Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/489

Cette page a été validée par deux contributeurs.
485
HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

que de franchir la porte du cabinet d’un ministre qu’ils trouvaient toujours monté sur un ton si froid et si oratoire. – « Les souverains nous avaient gâtés, me disait un jour, à ce sujet, un des plus anciens et des plus spirituels ambassadeurs ; figurez-vous la contrainte que nous éprouvions en nous trouvant assis devant M. de Broglie, nous qui avions été accoutumés, dans les congrès, à faire les affaires en parcourant gaiement la diagonale d’un cabinet avec Nesselrode, Metternich et l’empereur Alexandre, et en parlant de tout à propos de diplomatie. »

Ce n’est pas que le bon vouloir manquât tout-à-fait à M. de Broglie, mais comme disait le même diplomate qui l’avait bien observé, il a beau tenter de nous embrasser dans ses momens d’expansion, il ne pourrait le faire, car les mains lui manquent, il est manchot. Et puisque j’ai signalé la supériorité de M. de Broglie sur M. Guizot dans le conseil, je dois dire aussi que M. Guizot s’entend au contraire, malgré son ton dogmatique, à s’emparer des hommes par un ton parfait de cordialité, par la flatterie, et surtout par une absence complète d’humeur. Il faut avoir vu M. Guizot dans les couloirs de la chambre, allant de l’un à l’autre, se montrant simple, naturel et bienveillant, pour se faire une idée de la sociabilité et de toute la douceur qu’il peut avoir quand il ne parle pas à la tribune.

La diplomatie étrangère en était là de ses observations sur M. de Broglie, quand la question des rentes, et la singulière apostrophe : Est-ce clair ? que M. de Broglie adressa à la chambre, amenant la seconde retraite de M. de Broglie, donnèrent l’espoir d’un favorable renouvellement des relations diplomatiques entre les puissances de l’Europe. C’est une belle tâche que M. Thiers se trouve avoir, et il a dû sentir quelque émotion en se voyant appelé à la remplir ; mais quelque vaste que soit ce projet d’union, il l’exécutera plus facilement que la conciliation des partis, qui est aussi le rêve de M. Thiers, et dont il commence sans doute à revenir un peu.

Il faut rendre encore ici justice à l’élévation du caractère de M. de Broglie. On ne l’a pas vu s’animer et prendre part à cette querelle mesquine où M. Guizot joue, devant la chambre, le singulier rôle de pacificateur, tandis que le soir et le matin, ses amis, réunis autour de lui, préparent de nouveaux élémens de discorde. M. de Broglie assiste en sage et en philosophe à ces tristes débats ;