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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

et la question ottomane ; mais ce temps passé, les affaires se controversaient entre M. Thiers, M. de Broglie, et un troisième qui n’est pas sans intelligence des affaires diplomatiques, et elles se décidaient sans prendre les deux voies. On peut voir, dans le cabinet du ministre des affaires étrangères, un vaste fauteuil à la Talleyrand, qui s’y trouve encore, je suppose, à moins que M. Thiers ne l’ait repoussé comme un meuble inutile. Ce fauteuil servait aux méditations de M. de Broglie. Je tiens ce détail d’un des membres les plus spirituels du corps diplomatique. Quand les ambassadeurs étrangers venaient rendre visite au ministre des affaires étrangères, ils le trouvaient au fond de ce fauteuil, la tête dans ses mains, et tellement abîmé dans ses réflexions, qu’il n’entendait ni la voix de l’huissier qui annonçait l’ambassadeur, ni les premières paroles qui lui étaient adressées. Je ne dis pas que M. de Broglie a toujours eu de bonnes inspirations dans son fauteuil ; loin de là, je crois, d’après de bons auteurs, et à en juger d’après ce que nous avons vu, qu’il y a éprouvé de fâcheuses distractions, source de bien des fautes ; mais ces fautes sont de lui, comme ce qu’il a fait de bien, et non pas de M. Guizot. M. Guizot a assez de sa propre responsabilité et de son propre mérite, sans lui attribuer le mérite et les actes de M. de Broglie.

Puisque j’ai commencé à vous parler de la manière dont M. le duc de Broglie recevait les ambassadeurs, continuons. Je ne sais, monsieur, si vous savez ce que c’est qu’un ambassadeur le jour de ses dépêches ? Ce jour-là, il faut que l’ambassadeur écrive à sa cour. S’il est en France, à Paris par conséquent, il écrira de la France et de Paris. Il lui faut ce jour-là, selon l’importance de l’ambassadeur et de la cour, quatre pages ou six pages sur l’esprit public du pays où il réside, sur la marche du gouvernement, sur sa disposition à l’égard des gouvernemens étrangers, etc. Alors l’ambassadeur se met en quête, l’ambassadeur d’un côté, et les secrétaires d’ambassade de l’autre ; l’ambassadeur chez les ministres, et les secrétaires dans les bureaux du ministère. Si l’ambassadeur trouve un ministre des affaires étrangères qui cause, qui discourt, qui parle des affaires (sans dire les secrets du cabinet), qui s’ouvre autant qu’on peut s’ouvrir quand on est ministre, et ministre d’un tel département, la dépêche s’en ressent. On a prêté à ce gouvernement et à ce ministère des projets hostiles qu’ils n’ont pas, dit la