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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

des affaires étrangères, sous la présidence du maréchal Soult, ayant pour collègues, à l’instruction publique et à l’intérieur, M. Guizot et M. Thiers.

Vous ne voulez pas, monsieur, que je suive ce cabinet dans toutes ses transformations, depuis le 11 octobre 1832 jusqu’à sa fin, advenue le 11 février 1836 ; longue période, pendant laquelle M. le duc de Broglie sortit deux fois du ministère, et la seconde fois pour n’y rentrer sans doute jamais. Ce qu’il faut admirer dans ce ministère, c’est sa durée. Il fallait que la nécessité de se réunir fût bien grande, puisque M. Thiers s’entendit si long-temps avec M. Guizot, puisque deux élémens si contraires ne rompirent pas leurs liens ! En disant que l’un de ces liens principaux fut M. de Broglie, je crois vous faire l’éloge de l’ancien ministre des affaires étrangères. M. Guizot est un homme de résistance, comme est M. Thiers, quoique l’esprit de résistance de celui-ci soit moins âpre et moins violent ; mais, hors de là, rien ne rapprochait, et tout éloignait au contraire ces deux hommes, dont l’intelligence a pris deux routes différentes. Il paraît, au contraire, que M. de Broglie et M. Thiers s’entendaient assez bien, mieux même qu’on ne pourrait le croire. M. de Broglie a toujours passé pour un esprit inabordable et pour un caractère redouté, à cause de ses formes exclusives et de sa décision. Ces défauts de M. de Broglie ont été exagérés, et une certaine opiniâtreté, quelquefois incommode, une distraction habituelle, digne d’être peinte par La Bruyère, ont pu motiver ce jugement. Je sais du moins qu’au 11 octobre, quand il fut question de former un ministère, le roi et tous les ministres désignés s’empressèrent d’offrir le portefeuille des affaires étrangères à M. de Broglie, tandis que tout le monde semblait, au contraire, avoir peur de M. Guizot. Mais M. de Broglie refusa de faire partie d’un cabinet où ne serait pas M. Guizot, et M. Guizot n’entra qu’ainsi au ministère de l’instruction publique, dont les portes lui furent ouvertes par la main fidèle de son ami.

Je veux rectifier encore à vos yeux, monsieur, une autre opinion erronée qu’on a de M. de Broglie. On a toujours supposé que M. Guizot était l’ame du conseil, et que M. de Broglie, tout instruit, tout profond rédacteur de lois et de traités qu’il est, n’était que l’ombre de M. Guizot. Moi-même j’ai long-temps partagé cette erreur, et j’ai cru comme tout le monde, c’est-à-dire comme