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et de ces prédications sur des coussins de velours, aux allocutions et au tumulte des rues et de la place publique ! De tous les habitués du salon de M. de Broglie, M. Guizot était le seul qui se fût aventuré, avec deux ou trois de ses jeunes amis, à descendre dans les clubs et les associations populaires, et encore les bien-aimés disciples qui l’avaient suivi s’étaient retirés tout à coup, effrayés de ces violentes habitudes oratoires, qui contrastaient si vivement avec les discussions du cercle poli où ils avaient reçu leur baptême politique. M. Guizot lui-même était revenu peu édifié de ce lieu, et en faisait une description qui rappelait un peu l’enfer de Virgile : Loca turbida, tristes sine sole domos. Que fut-ce donc quand il fallut passer du monde déjà peu pacifique des idées dans le monde des faits et des révolutions, quand le jour vint tout à coup d’appliquer ces théories qu’on fabriquait dans un coin du faubourg Saint-Germain à l’usage d’un état politique qu’on ne s’attendait pas à voir si tôt venir ! M. de Broglie hésita, recula ; il aida M. Guizot à rédiger cette protestation qui respectait tous les droits de Charles X, et qu’une plume plus révolutionnaire que la leur changea en un glorieux acte de rébellion. Le soir de la troisième journée, on le vit arriver de nuit, et sous un manteau, chez M. Laffitte, où il refusa d’accepter les pouvoirs de commissaire qu’on lui offrait ; mais le lendemain il fallut bien franchir les derniers scrupules, et M. de Broglie se trouva, un peu malgré lui, avouons-le, appartenir bien réellement à la révolution de juillet. Le 30 juillet, M. de Broglie accepta les fonctions de commissaire provisoire au ministère de l’intérieur et des travaux publics. La lieutenance-générale du royaume avait été déférée au duc d’Orléans.

Je ne suis pas de ceux qui font un crime à M. de Broglie et à M. Guizot d’avoir essayé de sauver la liberté de la France, sans vouloir détruire le gouvernement qui avait tenté de l’étouffer. Des esprits judicieux et réfléchis ne pouvaient renoncer tout à coup à toutes leurs habitudes intellectuelles. Il fallait porter atteinte au principe de la légitimité, et ces deux savans publicistes avaient eu beau méditer sur la révolution de 1688, et sur les effets favorables qu’elle avait eus pour la nation anglaise, il ne leur était pas démontré que le moment était venu, pour la France, d’opérer une semblable révolution. Confians dans l’avenir de leurs théories, ils ne doutaient pas qu’elles triomphassent un jour, et comme ils s’occu-