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repoussa doucement, en demandant une plume. Le moyen, monsieur, de modifier une organisation aussi fermement arrêtée dès son principe, et d’exercer quelque influence sur un esprit que ni les traditions de famille, ni l’éducation, ni le sang qui l’anime, ni les hommes qui ont pris le plus d’autorité sur leur temps, ni les évènemens qui ont parlé le plus haut, n’ont pu détourner un instant de sa paisible vocation !

« C’est un grand avantage que la qualité, dit quelque part Pascal ; dès dix-huit ans, elle met un homme en passe d’être connu et respecté comme un autre pourrait avoir mérité à cinquante ans ; ce sont trente ans gagnés sans peine. » — M. de Broglie avait reçu en outre une éducation profonde et solide ; ses pensées le portaient à la méditation ; les langues de l’Europe et l’antique langue grecque lui étaient familières ; tous ces avantages de l’esprit et de la science, il ne se souciait pas de les porter dans les camps où il eût été encore trop jeune pour paraître en négociateur, qui était un grade qu’on ne gagnait aussi en ce temps-là qu’à la pointe de son épée. Il entra donc, comme auditeur dans le conseil d’état, et bientôt Napoléon le chargea de différentes missions. On le vit en Illyrie, à Valladolid, à Varsovie, dans l’ambassade de l’abbé de Pradt, qui dut lui rappeler un peu l’abbé de Broglie, son grand-oncle, et enfin à Vienne près de M. de Narbonne, qu’il suivit au congrès de Prague, où l’on essaya vainement de rétablir par les négociations la fortune déjà chancelante de la France, et d’empêcher la coalition de ramener nos armées du Rhin, des Alpes et des Pyrénées, la crosse en l’air, comme disait énergiquement Napoléon. Pour un homme tel qu’était déjà M. de Broglie, ce congrès de Prague était une belle étude. Napoléon avait en Allemagne quatre cent mille hommes et douze cents pièces de canon ; il occupait d’importantes positions, et les places fortes depuis l’embouchure de l’Elbe jusqu’à Mayence ; le sénat-conservateur avait encore deux ou trois générations de conscrits à lui livrer ; à Lutzen et à Bautzen il avait montré que le coup d’œil et l’ardeur qui avaient gagné cent batailles rangées, n’étaient pas éteints, et cependant il négociait, il ne se lassait pas de demander des armistices ; ses plénipotentiaires avaient ordre d’écouter patiemment les réponses hautaines de l’Autriche et ses propositions, et de ne repousser que ce qui était déshonorant. Le chêne pliait, l’aigle abaissait ses ailes, pour