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Ce pays, poste avancé de l’Empire contre la France, réduit au rang de colonie, contraint de fournir à l’Espagne des hommes et des armes comme le Mexique et le Pérou de lui fournir de l’or ; cette terre, cause, victime et théâtre des plus sanglantes guerres, expirait ainsi sous les tyranniques exigences du droit de succession, au moment même où la vie intellectuelle s’y développait dans toute sa force.

On a dit que la Belgique au xvie siècle serait un sujet digne d’exercer la plume de ses écrivains patriotes. Un tel livre, en effet, pourrait être beau, mais il serait pénible à faire. Ce serait comme l’oraison funèbre d’un peuple frappé, plein de jeunesse et de jours, par une politique imprévoyante, contre laquelle la nature protesta d’âge en âge, par le sang d’Egmont comme par celui d’Anneessens, par la révolution de 1788 comme par celle de 1830. L’écrivain qui voudrait peindre la Belgique au moment où sa vie s’éteignit sous le génie espagnol, complètement opposé au sien, aurait à montrer Charles-Quint réglant le sort du monde entouré de ses conseillers flamands, et le cardinal Granvelle usant sa haute habileté pour ployer au joug de la royauté castillane des populations frémissantes.

Depuis long-temps le génie artistique de cette contrée s’était épanoui dans les aériennes merveilles de l’architecture gothique. Les hôtels-de-ville, symbole de la liberté communale, les cathédrales où la pensée monte au ciel plus dégagée de la terre et du temps, s’élevèrent dès le xive siècle sur tous les points de ce sol où on les montre avec orgueil à l’étranger comme d’impérissables témoins de la vieille nationalité reconquise[1]. Quand le mouvement de la renaissance eut envahi l’Europe, le génie flamand, sans renoncer à l’architecture glorieusement représentée par Henri Van Pé, Lievin de Witte et Jacques de Breuck, saisit le pinceau, et les découvertes des Van Eyck qui avaient frayé à l’art des voies inconnues, donnèrent bientôt à la Flandre cette longue suite de peintres célèbres qui devait aboutir à Rubens et à Van Dyck. Toutes les chapelles princières de l’Europe se pourvoyaient de musiciens à la cour de Philippe-le-Bon et de Marguerite. Cette princesse marchait entourée de l’élite des savans de son siècle, parmi lesquels brillaient Érasme, Corneille Agrippa,

  1. Nous citerons, en preuve d’un respect qui honore la Belgique et que nous pourrions lui emprunter, les sacrifices considérables que fait la régence de Louvain pour la conservation de son hôtel-de-ville, palais de dentelle, qui porte l’imagination du voyageur au sein des merveilles orientales. Chaque année, une somme de 12,000 florins est consacrée sur le budget municipal à sa restauration et à son entretien. Un atelier spécial de sculpture est établi dans l’hôtel, et, par un procédé ingénieux, toutes les figurines sont moulées et reproduites dans toute la vérité du dessin primitif.