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que le Rhin enlace comme une ceinture, et où des fleuves aux eaux paisibles et profondes portent de toutes parts l’industrie et la fécondité ; en vain la sueur de l’homme fit-elle germer d’abondantes moissons sur ce sol, dont les régions souterraines livrent à son génie de si puissans instrumens de richesse et de travail ; cette terre, qui se couvrit de populeuses cités, où la foi catholique et la liberté municipale élevèrent de concert tant d’impérissables monumens, ne put cependant porter un peuple à maturité. L’homme s’y développa dans sa force et son activité ; la cité y naquit avec ses affections énergiques et concentrées ; la patrie, cette haute et mystérieuse unité, ne fleurit point dans ces contrées que la nature a tout fait pour réunir, et que les hommes ont tout fait pour disjoindre.

Après avoir donné au royaume des Francs ces maires du palais, tige de la plus glorieuse de ses dynasties, les provinces belgiques se morcelèrent sous les successeurs de Charlemagne, faibles héritiers d’une puissance que le grand empereur lui-même n’aurait pu maintenir longtemps. Lothaire baptisa de son nom un royaume sans avenir, pendant que Charles-le-Chauve ajoutait à ses autres états l’Artois et la Flandre. Cette division primitive fut la source des longs malheurs de ce pays, car l’empire d’Allemagne et la grande monarchie naissante de l’Occident prirent pied, dès la fin du ixe siècle, sur ce sol, qui devait être l’objet de leur convoitise et de leurs combats. La lutte du midi contre le nord, du génie français contre le génie germanique, commence à Bouvines pour ne finir qu’à Waterloo. Entre ces deux points extrêmes, que de stations funèbres, que de tombes ouvertes pour d’innombrables générations ! Lisez seulement les noms que deux siècles ont ajoutés à cette galerie mortuaire : Steinkerke, Sénef, Nerwinde, Ramillies, Rocoux, Lawfeldt, Walcourt, Fontenoi, Fleurus, Jemmapes, journées diverses de cette longue guerre commencée contre la France de Philippe-Auguste par Jean-sans-Terre et par l’empereur Othon !

Si les fiefs composant les provinces belgiques et hollandaises avaient constamment relevé de la couronne impériale, ces contrées auraient fini par former des cercles du saint empire ; et par l’origine germanique de presque toutes ces populations, elles se seraient fondues dans la nationalité allemande, à l’exemple des électorats des bords de Rhin. Mais la Flandre et le Hainaut se trouvèrent, dès l’origine, engagés dans le système français, et le droit féodal, par ses complications inextricables, donna, à l’ouverture de chaque succession, des titres ou des prétentions aux vassaux respectifs des empereurs et des rois de France, sur les nombreuses subdivisions territoriales dans lesquelles s’était fractionnée la souveraineté de ces provinces. C’est ainsi que, soumis à deux influences