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THOMAS MORUS.

plus sage et d’une conscience meilleure que tous les évêques, toute la noblesse, tout le peuple de ce royaume ?

— Milord chancelier, répondit Morus, pour un évêque que vous avez de votre opinion, j’ai de mon côté plusieurs centaines de saints et orthodoxes personnages ; pour votre assemblée unique, j’ai tous les conciles généraux qui se sont tenus depuis mille ans ; et pour un seul royaume j’ai toute la chrétienté. » Le duc de Norfolk, son ancien ami, l’accusa de malveillance. Morus repoussa doucement le reproche, et sans se plaindre de celui qui le lui faisait. Il voulait se justifier ; il ne voulait pas récriminer.

La longueur de la discussion prouvait combien ces hommes faisaient à regret leur métier de juges. Le sang qu’on allait verser ne profitait à aucun d’eux et pouvait quelque jour rendre le leur moins précieux. À la fin de la séance, ils dirent à Morus qu’il les trouverait prêts, chacun en particulier, à recevoir tout ce qu’il leur voudrait communiquer ultérieurement pour sa défense. Morus, touché, leur répondit avec effusion : «  Je n’ai plus qu’une chose à ajouter, milords. Nous lisons, dans les Actes des apôtres, que le bienheureux apôtre saint Paul était présent et consentant à la mort du premier martyr Étienne, et qu’il garda les habits de ceux qui le lapidaient. Et cependant Paul et Étienne sont maintenant deux saints dans le ciel, et deux amis pour toujours. De même, j’espère de tout mon cœur, — et je prie Dieu à cet effet, — que quoique vos seigneuries aient été sur la terre les juges pour ma condamnation, nous pourrons nous retrouver ensemble dans le ciel pour notre salut éternel. Que Dieu vous conserve tous, et, en particulier, mon souverain seigneur le roi, et qu’il lui accorde de sages conseillers[1] ! »

Il fut reconduit à pied de Westminster à la Tour, la hache portée devant lui, et le tranchant de son côté. Son fils, John More, qui l’attendait hors de la salle de justice, se mit à genoux devant lui, et lui demanda sa bénédiction ; Morus l’embrassa et le bénit. Arrivé sur le quai de la Tour, sa fille Marguerite, passant à travers les hallebardes et les haches qui l’entouraient, se jeta à son cou et y resta suspendue sans pouvoir dire d’autre parole que celle-ci : « Ô mon père ! ô mon père ! » Morus lui donna sa bénédiction,

  1. The life of Thomas Morus, by his grandson, ch. xi passim. Corresp. d’Érasme, 1764-1766.