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passé, pendant que la maison est remplie de la joie des convives. Quant aux autres, ils sont aussi étrangers qu’Homère à toute intention de mysticisme. S’il est des profondeurs cachées sous leur polythéisme, ils l’ignorent ; ils acceptent leurs dieux de la même manière que le moyen-âge acceptait ses croyances, sans arrière-pensée ; ils marchent comme le cercle des heures, autour de ce grand char d’Homère, touchant à peine le sol, loin d’en fouiller le triste abîme. On ne peut douter que cette préoccupation unique de l’idée de beauté ne soit la principale cause de la supériorité de l’art grec sur tous les autres ; et quand le vieil Aristophane dénonçait à l’aréopage les interprétations morales du dogme païen, il défendait la cause de la poésie, non moins que celle de la religion. C’est ce qui parut assez clairement lorsque la Grèce d’Alexandrie pénétra le mystère de son culte. Sa philosophie avait grandi, mais son art était perdu. La curieuse Psyché avait allumé sa lampe ; le dieu s’était enfui. De tout son passé d’héroïsme que lui restait-il ? La couche vide et le chevet de la Grèce bysantine.

Si l’on recherche pourquoi la haute antiquité n’a pas produit d’autres épopées que celles qui touchent aux traditions voisines de la guerre de Troie, il est facile de voir que l’unité nécessaire à ce genre de poésie ne s’est plus rencontrée jamais, si ce n’est par intervalle et par surprise, dans l’histoire grecque. À peine cette époque achevée, le vieux monde se divise. La venue des Héraclides établit une dissension qui ne finira plus. Il y aura encore quelques momens passagers où la Grèce essaiera de retrouver l’harmonie qu’elle a perdue. Mais ces momens rapides ne constitueront plus un état durable ; ils seront l’exception, non la loi. Dans un état ainsi partagé, le drame naîtra de la nature des choses ; il fomentera à son aise ses discordes au milieu des discordes de tous. Deux fois, il est vrai, la Grèce, avant de périr, remonte à l’unité, une fois à Salamine, contre les Perses ; mais cette levée de boucliers ne dure qu’un jour ; une autre fois, sous Alexandre, et cet effort ne se prolonge pas davantage. Le drame était dans l’histoire, il fut aussi dans l’art. Sur le terrain éternellement chancelant des discordes d’Athènes et de Sparte, au milieu de ce dialogue sanglant des deux cités, il y a place pour Eschyle, Sophocle, Euripide, Aristophane, mais non plus pour l’escabeau paisible du vieil Homère.