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LES NUITS FLORENTINES.

la porte un chien, et derrière lui une douzaine d’étudians avec des bâtons, puis deux douzaines de vieilles femmes, qui criaient tous en chœur : — Un chien enragé ! Le malheureux animal avait, dans sa frayeur de mort, un regard presque humain, des larmes coulaient de ses yeux ; et quand il passa devant moi en serrant la queue, quand son regard humide m’effleura, je reconnus le chien savant, le panégyriste de lord Wellington, qui jadis avait rempli d’admiration le peuple d’Angleterre. Était-il réellement enragé ? Peut-être avait-il perdu la raison par excès de science en continuant ses études dans le pays latin. Peut-être s’était-il, par un grognement désapprobateur, prononcé contre le charlatanisme boursouflé de quelque professeur, et celui-ci avait imaginé de se débarrasser de cet auditeur pointilleux en le déclarant enragé. Hélas ! la jeunesse n’examine pas long-temps si c’est le pédantisme offensé ou la jalousie de métier qui crie au chien enragé ; elle frappe avec ses bâtons stupides, et les vieilles femmes sont toujours là avec leurs hurlemens, prêtes à couvrir la voix de l’innocence et de la raison. Mon pauvre ami succomba, il fut impitoyablement assommé sous mes yeux, assommé et bafoué, et jeté enfin sur un tas d’ordures. Pauvre martyr de l’érudition !

La situation de M. le nain Turlututu n’était guère plus riante quand je le retrouvai sur le boulevard du Temple. Mlle Laurence m’avait bien dit qu’il s’y était mis chez les géans ; mais, soit que je ne comptasse pas sérieusement l’y trouver, soit que je fusse dérangé par la foule, je fus long-temps avant de remarquer la boutique où l’on voit les géans. Quand j’y entrai, je trouvai deux longs fainéans paresseusement couchés sur un lit de camp, qui se levèrent à la hâte pour poser devant moi en attitude de géans. Ils n’étaient en réalité pas aussi grands que le promettait l’emphase de leur affiche. C’étaient deux grands coquins, vêtus de tricot rose, qui portaient d’énormes favoris noirs, peut-être faux, et brandissaient au-dessus de leur tête des massues de bois creux. Quand je demandai après le nain qu’annonçait aussi le tableau de la porte, ils me répondirent qu’on ne le montrait pas depuis un mois, à cause de son état de maladie qui empirait toujours ; mais que je pourrais le voir pourtant si je voulais payer double entrée. Avec quel plaisir ne paie-t-on pas double entrée pour revoir un ami ! Et c’était, hélas ! un ami au lit de mort ! Ce lit de mort était un berceau d’en-