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LES NUITS FLORENTINES.

drait que le juge et l’objet du jugement se trouvassent également en état de calme. Mais qui peut rester tranquille auprès d’une Parisienne, et quelle Parisienne est jamais tranquille ? Il est des gens qui croient pouvoir examiner à leur aise un papillon quand ils l’ont percé et fixé sur le papier avec une épingle. C’est folie et cruauté. Le papillon attaché et immobile n’est plus un papillon. Il faut observer le papillon quand il se joue autour des fleurs… et la Parisienne, non dans l’intérieur domestique, où l’épingle est fichée dans son sein, mais dans le salon, dans les soirées et dans les bals, où elle voltige avec des ailes de soie et de gaze brodée, aux lueurs étincelantes des joyeuses girandoles. C’est alors que se révèle en elle un impatient amour de la vie, une ardeur d’étourdissement, une soif d’ivresse, qui l’embellit d’une façon presque attristante, et lui prête un charme dont notre ame est tout à la fois ravie et effrayée.

Ce besoin passionné de jouir de la vie, comme si la mort les allait appeler tout-à-l’heure de la source jaillissante du plaisir, ou que cette source dût se tarir à l’instant ; cet empressement, cette rage, ce vertige des Parisiennes, tels surtout qu’ils éclatent dans les bals, me rappellent toujours la tradition des danseuses nocturnes qu’on appelle chez nous les willis. Ce sont de jeunes fiancées mortes avant le jour des noces ; mais elles ont conservé si vivement dans leur cœur l’amour mal satisfait de la danse, qu’elles sortent la nuit de leurs tombeaux, se rassemblent en troupes sur les routes, et là se livrent aux danses les plus passionnées. Parées de leurs habits de noces, couronnées de fleurs, les mains livides ornées d’anneaux étincelans, souriant à faire frissonner, irrésistiblement belles, les willis, bacchantes mortes, dansent au clair de lune, et elles dansent avec d’autant plus d’ardeur et d’impétuosité, qu’elles sentent approcher la fin de l’heure de minuit, le moment qui doit les faire redescendre dans le froid glacial de leurs tombeaux.

Ce fut à une soirée de la Chaussée d’Antin que ces réflexions roulaient dans mon ame. C’était une soirée brillante, et rien ne manquait des conditions ordinaires d’un tel plaisir. Assez de lumières pour être bien éclairé, assez de glaces pour s’y mirer, assez d’hommes pour y étouffer de chaleur, assez de sirops et de sorbets pour se rafraîchir. On commença par faire de la musique. Franz Liszt s’étant laissé entraîner au piano, releva sa chevelure au-dessus de son front spirituel, et livra une de ses plus brillantes batailles.