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cette heure dans sa chère patrie ; car, après les combats de boxeurs et de coqs, il n’y a pas de spectacle plus précieux, pour un Anglais, que l’agonie d’un pauvre diable qui a volé un mouton ou imité une écriture, et qu’on expose, la corde au cou, pendant une heure, devant la façade d’Old-Bailey, avant de le lancer dans l’éternité. Je n’exagère pas quand je dis que le vol d’un mouton et le faux, dans cet horrible et cruel pays, sont punis à l’égal de l’inceste et du parricide. Moi-même qu’un triste hasard conduisit à Londres, j’y ai vu pendre un homme qui avait volé un mouton, et depuis ce temps, j’ai perdu le goût pour le mouton rôti. Auprès de lui je vis pendre un Irlandais qui avait contrefait la signature d’un riche banquier. Je vois encore les naïves terreurs du pauvre Paddy, qui, aux assises, ne pouvait comprendre qu’on le punît si durement pour avoir imité une signature, lui qui permettait au premier venu d’imiter la sienne ! Et ce peuple ne cesse de parler de christianisme, il ne manque pas un prêche le dimanche, et inonde de bibles l’univers !

Je vous l’avouerai, Maria, si je ne pus rien goûter en Angleterre, ni la cuisine ni les hommes, la faute en était un peu à moi-même. J’avais emporté de ma patrie une bonne provision de mauvaise humeur, et je cherchais des distractions chez un peuple qui ne sait lui-même tuer son ennui que dans le tourbillon de l’activité politique et mercantile. La perfection des machines qu’on emploie partout, dans ce pays, à accomplir des travaux d’homme, avait aussi pour moi quelque chose de déplaisant et de sinistre tout à la fois. Cette vie artificielle de rouages, pistons, cylindres, et de milliers de crochets, goupilles, petites dents qui se meuvent presque avec passion, me remplissait d’horreur. La précision, l’exactitude, la mesure et la ponctualité de la vie des Anglais ne me tourmentaient pas moins ; car si les machines en Angleterre nous font l’effet d’hommes, les hommes nous y apparaissent comme des machines. Oui, le bois, l’acier et le cuivre semblent y avoir usurpé l’esprit des hommes et être devenus presque fous par excès d’esprit, pendant que l’homme, dépouillé de sa vie intellectuelle, semblable à un fantôme vide, accomplit, comme une machine, sa tache habituelle. À la minute fixée il mange son beefsteak, débite son discours au parlement, fait ses ongles, monte en diligence, ou bien encore va se pendre.

Vous pouvez vous figurer sans peine combien s’augmentait mon