Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.
28
REVUE DES DEUX MONDES.

sons ! dit-elle. — Je ne sais pas, reprit Morus, pourquoi je tiendrais tant à ma maison et à tout ce qui s’y trouve ; car si, après avoir été six ans sous terre, je sortais de ma tombe et revenais à Chelsea, je ne manquerais pas d’y trouver des gens qui me mettraient à la porte, et qui me diraient que ma maison n’est pas à moi. Pourquoi donc, encore une fois, aimerais-je tant une maison qui oublierait si tôt son maître ? Voyons, dame Alice, continua-t-il, combien me donnez-vous d’années à vivre et à jouir encore de Chelsea ? — Vingt ans, dit-elle. — En vérité, reprit-il, si c’était mille, il y aurait à y regarder. Et encore serait-ce un mauvais marché que de perdre l’éternité pour mille années. Mais combien pire serait le marché, s’il est vrai que nous ne sommes pas sûrs d’un jour[1] ! »

Le plan du roi, qui avait plus besoin de son parjure que de sa vie, avait été, dans le commencement, de le prendre par les affections de famille, et de le mettre aux prises avec les regrets, les reproches, les prières, les larmes, les souvenirs de la liberté perdue, rendus si vifs par la présence de ceux au milieu desquels il avait vécu libre. Mais toute la famille ayant échoué contre l’homme à qui sa foi commandait de mettre le Christ avant les siens, on lui ôta brusquement toutes ces petites consolations, et la rigueur succéda aux ménagemens. On l’attaquait par tous les points. Tantôt on répandait le bruit qu’il avait prêté serment, et on lui ôtait ainsi l’appui de l’opinion dont l’homme le plus ferme a besoin[2] ; tantôt les agens royaux investissaient sa maison sous prétexte de sommes cachées, et fouillaient sa noble pauvreté comme ils eussent fait des coffres de quelque exacteur du dernier roi. Morus, dans une lettre à ce sujet, témoigne l’espoir que le roi ne prendra pas la ceinture et le collier d’or de sa femme, et ne touchera pas à sa garderobe[3]. Tantôt on parlait de lui arracher le serment par des tortures[4]. Tantôt c’était quelque affidé qui lui reprochait de n’avoir pas écrit au roi depuis qu’il était en prison, comme s’il avait pu le faire sans se démentir ou sans l’irriter davantage[5] !

  1. The Life of sir Th. Morus, by his grandson, p. 237.
  2. English Works, 1450 E.
  3. Ibid. 1446.
  4. Ibid. 1450 FGH.
  5. Ibid.