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complaisant des époques de décadence littéraire, les tours de force poétiques, les exagérations et les subtilités du panégyriste, il leur fallut revenir des chimères de cet idéal factice aux impressions de la vie réelle. L’ouverture du synode eut lieu, et tous les juges prirent place sur des bancs dressés autour de la salle d’audience. Comme dans le procès de Prætextatus, les vassaux et les guerriers franks se pressaient en foule aux portes de la salle, mais avec de tout autres dispositions à l’égard de l’accusé[1]. Loin de frémir, à sa vue, d’impatience et de colère, ils ne lui témoignaient que du respect, et partageaient même en sa faveur les sympathies exaltées de la population gallo-romaine. Le roi Hilperik montrait dans sa contenance un air de gravité guindée, qui ne lui était pas habituel. Il semblait ou qu’il eût peur de rencontrer en face l’adversaire que lui-même avait provoqué, ou qu’il se sentît gêné par le scandale d’une enquête publique sur les mœurs de la reine. À son entrée, il salua tous les membres du concile, et ayant reçu leur bénédiction, il s’assit[2]. Alors Berthramn, l’évêque de Bordeaux, qui passait pour être le complice des adultères de Fredegonde, prit la parole comme partie plaignante ; il exposa les faits de la cause, et interpellant Grégoire, il le requit de déclarer s’il était vrai qu’il eût proféré de telles imputations contre lui et contre la reine[3]. « En vérité, je n’ai rien dit de cela, répondit l’évêque de Tours. — Mais, reprit aussitôt Berthramn avec une vivacité qui pouvait paraître suspecte, ces mauvais propos ont couru ; tu dois en savoir quelque chose ? » L’accusé répliqua d’un ton calme : « D’autres l’ont dit ; j’ai pu l’entendre, mais je ne l’ai jamais pensé[4]. »

Le léger murmure de satisfaction que ces paroles excitèrent dans l’assemblée se traduisit au dehors en trépignemens et en clameurs.

  1. Voyez la première de ces Lettres.
  2. Dehinc adveniente rege, data omnibus salutatione ac benedictione accepta, resedit. (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 263)
  3. Tunc Bertchramnus Burdegalensis civitatis episcopus, cui hoc cum reginâ crimen impactum fuerat, causam proponit, meque interpellat, dicens à me sibi ac reginæ crimen objectum. (Ibid.)
  4. Negavi ego in veritate me hæc locutum ; et audisse quidem alios, me non excogitasse. (Ibid.) — Voyez, sur le sens de ce passage, l’opinion du savant éditeur, dom Ruinart, praefat., pag. 114.)