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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

asile ouvert à celles qui voulaient se dérober par la retraite aux séductions mondaines ou aux envahissemens de la barbarie. Malgré l’empressement de la reine et l’assistance que lui prêta l’évêque de Poitiers, Pientius, plusieurs années s’écoulèrent avant que le bâtiment fût achevé[1]. C’était une villa romaine avec toutes ses dépendances, des jardins, des portiques, des salles de bains et une église. Soit par quelque idée de symbolisme, soit par une précaution de sûreté matérielle contre la violence des temps, l’architecte avait donné un aspect militaire à l’enceinte extérieure de ce paisible couvent de femmes. Les murailles en étaient hautes et fortes en guise de rempart, et plusieurs tours s’élevaient à la façade principale[2]. Ces préparatifs, tant soit peu étranges, frappaient vivement les imaginations, et l’annonce de leurs progrès courait au loin comme une grande nouvelle. « Voyez, disait-on dans le langage mystique de l’époque, voyez l’arche qui se bâtit près de nous contre le déluge des passions et contre les orages du monde[3] ! »

Le jour où tout fut prêt, et où la reine entra dans ce refuge, dont ses vœux lui prescrivaient de ne plus sortir que morte, fut un jour de joie populaire. Les places et les rues de la ville qu’elle devait parcourir étaient remplies d’une foule immense : les toits des maisons se couvraient de spectateurs avides de la voir passer, ou de voir se refermer sur elle les portes du monastère[4]. Elle fit le trajet à pied, escortée d’un grand nombre de jeunes filles qui allaient partager sa réclusion, attirées auprès d’elle par le renom

  1. Quam fabricam vir apostolicus Pientius episcopus et Austrasius dux per ordinationem dominicam celeriter fecerunt. (Ex vita S. Radegundis, apud script. rerum francic., tom.  iii, pag. 457.)
  2. Transeuntibus autem nobis sub muro, iterùm caterva virginum per fenestras turrium, et ipsa quoque muri propugnacula, vores proferre ac lamentari desuper cæpit. (Greg. Turon. lib. de Gloria confessorum, cap. xvi.) — Tota congregatio suprà murum lamentans… Rogaverunt desursùm ut subtùs turrim repausaretur feretrum. (Acta sanctorum Augusti, tom.  iii, pag. 82.)
  3. Quasi recentior temporis nostri Noe propter turbines et procellas sodalibus vel sororibus in latere ecclesiæ monasterii fabricat arcam. (Vita S. Cæsarii, Arelat. episc., apud Annales franc. ecclesiast. tom.  i, pag. 471.)
  4. Quanta verò congressio popularis extitit die qua se sancta deliberavit recludere, ut quos ptateæ non caperent, ascendentes tecta complerent. (Acta sanctorum Augusti, tom.  iii, pag. 72.)