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lot du roi de Neustrie tombèrent deux enfans de race royale, le fils et la fille de Berther, l’avant-dernier roi des Thuringiens. La jeune fille (c’était Radegonde) avait à peine huit ans ; mais sa grace et sa beauté précoce produisirent une telle impression sur l’ame sensuelle du prince Frank, qu’il résolut de la faire élever à sa guise, pour qu’elle devînt un jour une de ses femmes[1]. Radegonde fut gardée avec soin dans l’une des maisons royales de Neustrie, au domaine d’Aties, sur la Somme. Là, par une louable fantaisie de son maître et de son époux futur, elle reçut, non la simple éducation des filles de race germanique, qui n’apprenaient guère qu’à filer et à suivre la chasse au galop, mais l’éducation raffinée des riches Gauloises. À tous les travaux élégans d’une femme civilisée, on lui fit joindre l’étude des lettres romaines, la lecture des poètes profanes et des écrivains ecclésiastiques[2]. Soit que son intelligence fût naturellement ouverte à toutes les impressions délicates, soit que la ruine de son pays et de sa famille, et les scènes de la vie barbare dont elle avait été le témoin, l’eussent frappée de tristesse et de dégoût, elle se prit à aimer les livres comme s’ils lui eussent ouvert un monde idéal meilleur que celui qui l’entourait[3]. En lisant l’Écriture et les Vies des Saints, elle pleurait et souhaitait le martyre ; et probablement aussi des rêves moins sombres, des rêves de paix et de liberté, accompagnaient ses autres lectures. Mais l’enthousiasme religieux, qui absorbait alors tout ce qu’il y avait de noble et d’élevé dans les facultés humaines, domina bientôt en elle ; et cette jeune barbare, en s’attachant aux idées et aux mœurs de la civilisation, les embrassa dans leur type le plus pur, la vie chrétienne[4].

  1. Chlotharius verò rediens, Radegundem filiam Bertharii regis secum captivam abduxit, sibique eam in matrimonium sociavit. (Ibid.) — Quæ veniens in sortem præcelsi regis Chtotharii (Vita sanctæ Radegundis, auctore Fortunato, apud script. rerum francic. tom. iii, pag. 456.)
  2. In Veromandensem ducta Atteias in villa regia nutriendi causa custodibus est deputata. Quæ puella inter alia opera quæ sexui ejus congruebant, litteris est erudita. (Ibid.)
  3. Tempestate barbarica, Francorum victoria regione vastata. (Vita S. Radegundis, apud script. rerum francic. tom. iii, pag. 456.)
  4. Nec fuit arduum rudimentis illam liberalibus informari, cujus annos et sexum non minus acumen ingenii quam castitatis insignia superabant. (Vita S. Radegundis, auctore Hildeberto, Cenoman. episc. apud Bollandist., Acta sanctorum Augusti,