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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

tine ; et chez les nobles gallo-romains l’habileté politique, la finesse d’esprit, la science des affaires et du droit[1]. À l’éloge de la piété des évêques et de leur zèle à bâtir et à consacrer de nouvelles églises, il joignait celui de leurs travaux administratifs pour la prospérité, l’ornement ou la sûreté des villes. Il louait l’un d’avoir restauré d’anciens édifices, un prétoire, un portique, des bains ; l’autre d’avoir détourné le cours d’une rivière et creusé des canaux d’irrigation ; un troisième d’avoir élevé une citadelle garnie de tours et de machines de guerre[2]. C’est ainsi qu’étranger à la Gaule par sa naissance, Fortunatus y devint en peu d’années le centre de la société intellectuelle, le lien commun de tous les hommes qui, au milieu d’un monde en proie à des passions barbares et à des intérêts grossiers, conservaient solitairement le goût des lettres et des plaisirs de l’esprit[3]. Mais de toutes ces amitiés, la plus vive et la plus durable fut celle dont il se lia avec une femme, avec Radegonde, l’une des épouses du roi Chlother I, retirée alors à Poitiers dans un monastère qu’elle-même avait fondé, et où elle avait pris le voile comme simple religieuse.

Dans l’année 529, Chlother, roi de Neustrie, s’était joint comme auxiliaire à son frère Theoderik, qui marchait contre les Thorings ou Thuringiens, peuple de la confédération saxonne, voisin et ennemi des Franks d’Austrasie[4]. Les Thuringiens perdirent plusieurs batailles ; les plus braves de leurs guerriers furent taillés en pièces sur les rives de l’Unstrudt ; leur pays, ravagé par le fer et le feu, devint tributaire des Franks, et les rois vainqueurs firent entre eux un partage égal du butin et des prisonniers[5]. Dans le

  1. Fortunati opera, lib. vii, carm. 1, 2, 3, 4, 5, 15, 16 ; lib. ix, carm. 16 et passim. — Ibid. lib. vii, carm. 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 ; lib. x, carm. 23 et passim.
  2. Fortunati, lib. i, carm. 18, ad Leontium Burdegalensem episcopum de Bissono, villa Burdegalensi. — Ibid. lib. iii, carm. 10, ad Felicem Namnetensem episc. cùm alibi detorqueret fluvium. — Ibid., carm. 12, ad Nicetium Trevirensem de castello super Musellam.
  3. Vita Fortunati, pag. 47, 48, 49. — Fortunatus Italicus apud Gallias in metrica insignis habebatur. (Flodoard, Hist. rem. eccl. Ibid. pag. 61.)
  4. Greg. Turon. Hist. lib. iii, pag. 190
  5. Patrata ergo victoria regionem illam capessunt, in suam redigunt potestatem. (Ibid.)