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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

il s’enfuit de nouveau jusqu’à trois fois. Les peines disciplinaires du fouet et du cachot, auxquelles il fut soumis successivement comme serf fugitif, étant jugées insuffisantes contre une telle opiniâtreté, on lui infligea la dernière et la plus efficace de toutes, celle de la marque par incision pratiquée sur l’une des oreilles[1].

Quoique cette mutilation lui rendît désormais la fuite plus difficile et moins sûre, il s’échappa encore, au risque de ne savoir où trouver un refuge. Après avoir erré de différens côtés, toujours tremblant d’être découvert, parce qu’il portait visible à tous les yeux le signe de sa condition servile, fatigué de cette vie d’alarmes et de misères, il prit une résolution pleine de hardiesse[2]. C’était le temps où le roi Haribert venait d’épouser Markowefe, servante du palais, fille d’un cardeur de laine. Peut-être Leudaste avait-il eu quelques relations avec la famille de cette femme ; peut-être se fia-t-il simplement à la bonté de son cœur et à sa sympathie pour un ancien compagnon d’esclavage. Quoi qu’il en soit, au lieu de marcher en avant pour s’éloigner le plus possible de la résidence royale, il revint sur ses pas, et, caché dans quelque forêt voisine, il épia le moment où il pourrait se présenter devant la nouvelle reine, sans crainte d’être vu et arrêté par quelqu’un des serviteurs de la maison[3]. Il réussit, et Markowefe, vivement intéressée par ses supplications, le prit sous son patronage. Elle lui confia la garde de ses meilleurs chevaux, et lui donna parmi ses domestiques le titre de mariskalk, comme on disait en langue tudesque[4].

Leudaste, encouragé par ce succès et cette faveur inattendue, cessa bientôt de borner ses désirs à sa position présente, et, aspirant plus haut, il ambitionna la suprême intendance des haras de sa patronne et le titre de comte de l’écurie, dignité que les rois bar-

  1. Cùmque bis aut tertiò reductus a fugæ lapsu teneri non posset, auris unius incisione multatur. (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 261.)
  2. Dehinc cùm notam inflictam corpori occulere nulla auctoritate valeret… (Ibid.)
  3. Ad Marcovefam reginam, quam Charibertus rex nimium diligens, in loco sororis thoro adsciverat fugit. (Ibid.)
  4. Quæ libenter eum colligens, provocat, equorumque meliorum deputat esse custodem. (Ibid.) — Si mariscalcus, qui super 12 caballos est, occiditur… (Lex Alemanor., tit. LXXIX, § iv.) — Lex salica, tit. ii, § vi.