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REVUE. — CHRONIQUE.

plaît par son côté pratique, et nous nous lassons vite d’acquérir, si nos acquisitions ne nous mènent pas promptement à conclure et à juger. La science qui, en Allemagne, demeure sur les hauteurs et dans le demi-jour de la spéculation, est tenue, en France, d’être active ; elle n’est pas la propriété sacrée de quelques privilégiés qui ne communiquent qu’entre eux, et dans un langage d’initiés ; elle appartient à tous dans ce sens qu’elle est faite pour tous, et qu’elle ne donne de gloire au savant qu’en proportion de l’utilité qu’en retire le public.

L’immense succès de l’Atlas de M. le comte de Las-Cases, et de tous ceux où la même méthode a été appliquée à d’autres ordres de connaissances, prouve la vérité de nos réflexions. Le même succès est réservé à l’Atlas historique des états européens. Le travail de M. de Las-Cases, spécialement consacré à la science généalogique, signalait, par sa spécialité même, une lacune que l’ouvrage traduit par MM. Lebas et Ansart vient de remplir. Le cadre est bien plus vaste et d’une application bien autrement utile et variée. C’est, d’une part, l’histoire parallèle de tous les peuples de l’Europe depuis la chute de l’empire romain jusqu’à nos jours, et d’autre part, la géographie de l’Europe telle que l’ont faite successivement les guerres, les agrandissemens, les destructions de tous ces peuples. Je ne sache pas d’étude plus féconde et qui fasse penser plus rapidement qu’un seul coup d’œil jeté alternativement sur un des tableaux synoptiques où figurent tous les peuples, tous les évènemens, tous les grands hommes d’un siècle, et sur la carte corrélative où l’on voit en quelque sorte la trace des pas de ces peuples, le cadre de ces évènemens, les empreintes matérielles du génie de ces grands hommes. Et pour ne citer qu’un exemple entre vingt, quel morceau d’histoire universelle, fût-il écrit de main de maîtres, pourrait frapper l’esprit aussi vivement que la simple vue alternative des tableaux synoptiques des ve et viiie siècle, et des deux cartes de l’Europe dans ces deux siècles : l’une où les Visigoths inondent toute l’Espagne, et viennent déposer leurs alluvions jusqu’à Nantes, Angers, Bourges, Lyon, Arles ; l’autre où Charlemagne, laissant l’Espagne au califat de Cordoue, remplit l’Europe depuis les Pyrénées jusqu’à la mer Baltique, et depuis le détroit de la Manche jusqu’au détroit de Naples, embrassant tout ce qui s’appelle aujourd’hui la France, l’Autriche, la Prusse, la Confédération germanique, la Pologne, la Suisse, l’Italie ! Et après cette première impression de grandeur, quand on a contemplé la grande puissance qui a, pour ainsi dire, imprimé sa pensée au siècle et au sol même de l’Europe où elle a eu l’empire, quoi de plus curieux et de plus intéressant que de connaître synoptiquement l’histoire des peuples qui n’ont pas été envahis ou absorbés par la grande puissance, et la part du sol européen qui leur a été laissée !

On ne peut qu’approuver dans l’Atlas historique des états européens, la division par siècles, bien préférable à la division par époques, dans des tableaux historiques : c’est que la division par époque est tout-à-fait arbitraire. Tel historien, par exemple, fait commencer à Théodose l’histoire du moyen-âge ; tel autre à la chute de l’empire d’occident en 476 ;