Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/257

Cette page a été validée par deux contributeurs.
253
REVUE. — CHRONIQUE.

M. de Talleyrand se dispose à quitter Paris et à se rendre dans ses terres. M. le prince de Talleyrand ne veut pas qu’on lui attribue plus long-temps le patronage de ce ministère, qu’il a formé, il est vrai, en ce qui concerne M. Thiers, mais qu’il renie avec véhémence, quant à ce qui est de MM. Passy, Pelet de la Lozère et Sauzet.


— L’application des lois de septembre, demandée contre la Quotidienne et la Mode, n’a pas eu lieu, grace au talent avec lequel ces deux journaux ont été défendus par M. Berryer et par M. Dufougerais, ancien directeur de la Mode et jeune avocat très distingué ; grace aussi aux dispositions du jury, qui n’entre pas dans le système d’intimidation aussi facilement qu’on le pensait.


— Un ouvrage politique dont nous apprécierons la valeur et la portée, paraîtra mardi sous le titre de : Le Ministère de M. Thiers, les Chambres et l’Opposition de M. Guizot.


L’opéra des Huguenots obtient, à l’Académie royale de Musique, un succès qui semble vouloir surpasser celui de Robert-le-Diable. Cette musique, vive, passionnée, entraînante, émeut chaque soir jusqu’à l’enthousiasme le public, qui apprend à l’apprécier à sa juste valeur. Le premier acte amuse par la variété des effets et l’exposition si nette et si franche des principaux caractères. Les mélodies de Marguerite de Navarre et les chœurs si délicats de ses femmes jettent sur le second une fraîcheur exquise. Quant au quatrième, il devient inutile d’en parler désormais : sa réputation est faite ; dès le premier jour, on l’avait proclamé un chef-d’œuvre. L’exécution, quelles que soient d’ailleurs les variations que diverses circonstances lui ont fait subir, demeure toujours belle et digne, en tout point, de Meyerbeer. Depuis quelques jours, Dérivis remplace Levasseur dans le rôle de Marcel. On ne peut que louer le zèle qui a dirigé le jeune chanteur dans cette entreprise difficile. En effet, le caractère de Marcel appartient en propre à Levasseur par droit de création. Nourrit déploie toujours la vigueur dramatique et la puissance de moyens dont il a fait preuve dans tant d’autres rôles. L’orchestre et les chœurs jouent et chantent de manière à faire voir qu’ils sont reconnaissans de ce que M. Meyerbeer a fait pour eux. Quant à Mlle Falcon, c’est toujours le même enthousiasme, la même inspiration ; cette voix si limpide, si jeune, si vibrante, résiste à la fatigue des deux derniers actes, et semble ne pouvoir s’altérer. À cet immense succès des Huguenots la critique n’a rien à répondre ; les larmes, l’émotion, ne sont point du ressort de l’analyse. C’est là un fait mystérieux, un fait de sentiment placé au-dessus de la discussion, et c’est aussi le plus grand triomphe du musicien, la plus belle gloire qu’il puisse ambitionner.