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DE L’ESCLAVAGE AUX ÉTATS-UNIS.

situation financière est donc encore sans utilité pour un affranchissement.

L’étendue des bonnes terres incultes possédées par l’Union paraît être aussi une ressource dont on ne saurait se servir. Ainsi, Jefferson veut qu’après avoir aboli l’esclavage, on assigne aux nègres une portion du territoire national où ils vivraient séparés des blancs. Qui ne voit que la conséquence de ce projet serait d’établir deux sociétés distinctes et hostiles entre elles, dans un pays qui se félicite, avec raison, de n’avoir aucun voisin redoutable ? Une colonie de nègres affranchis a été fondée à Libéria, sur la côte d’Afrique (6° degré de latitude nord). Malheureusement, le transport de tous les esclaves américains vers cette lointaine contrée coûterait quinze à seize cents millions. C’est pourquoi cet établissement ne peut aider que la civilisation du continent africain. Les nègres étant affranchis, tout ne serait pas terminé. Il faudrait trouver au moyen, soit de les faire disparaître de la société où ils étaient esclaves, soit de les intéresser à la commune prospérité nationale, ce qui n’est pas moins difficile avec les dispositions actuelles des deux races. D’un autre côté, d’après la constitution américaine, l’abolition de l’esclavage ne peut se faire que par un acte particulier de la souveraineté des états à esclaves, fort éloignés, pour le moment, d’une semblable résolution. Comment donc les États-Unis se délivreront-ils du danger qui s’accroît sans cesse ? par son accroissement même. Il faut qu’il soit évident pour la majorité du pays. Personne assurément ne peut affirmer que ce danger, n’étant pas conjuré à temps, se dissipera sans un déchirement ou au moins sans une violente commotion. Cependant les charges de la servitude augmentent d’une manière si sensible, l’industrie libre et la population noire s’accroissent avec une telle rapidité, que les états du sud ne voudront pas sans doute persévérer bien long-temps dans une situation qui les expose beaucoup, pour les rendre inférieurs aux états du nord, ni les états du nord se dévouer, pour garantir la propriété des planteurs, à des combats atroces, dont l’issue serait mille fois plus incertaine et désastreuse que les plus tristes chances d’une émancipation.

Quand la nécessité d’une transaction entre les deux races sera venue, le glorieux exemple donné par l’Angleterre aura montré les moyens de l’entreprendre. Le succès de l’apprentissage est à la fois une provocation et un remède, qui hâtera le triomphe de la plus juste des causes.

Jusque-là, nous admettons que, dans les états exclusivement gouvernés par des planteurs, la démocratie aggrave la condition des noirs ; nous concevons encore comment, dans les états qui n’ont plus d’esclaves, les institutions démocratiques sont accidentellement un instrument de persécution contre les abolitionnistes, quoiqu’elles aient chassé la servitude de la moitié du territoire fédéral ; mais nous ne pensons point qu’il doive