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LES NUITS FLORENTINES.

ceignaient le glaive et passaient les Alpes… Oh ! oui, c’était une figure de cette famille qu’animait un sourire de la malice la plus douce et de l’espièglerie du meilleur goût, pendant que la belle dame détruisait avec le jonc d’Espagne la blonde frisure du bon Bellini. En ce moment, Bellini me parut comme touché d’une baguette magique, métamorphosé en apparition amie, et il me devint soudain un être sympathique. Son visage éclatait sous le reflet de ce sourire : ce fut peut-être le moment le plus brillant de sa vie… je ne l’oublierai jamais… quinze jours après, je lus dans les journaux que l’Italie avait perdu l’un de ses fils les plus glorieux !

Chose bizarre ! on annonça en même temps la mort de Paganini. Je ne doutai pas un instant de cette mort, parce que le blafard et vieux Paganini a toujours eu l’air d’un mourant ; mais celle du jeune et frais Bellini me parut incroyable, et pourtant la nouvelle de la mort du premier n’était qu’une erreur de gazette. Paganini se trouve sain et dispos à Gênes, et Bellini gît dans la tombe à Paris !

— Aimez-vous Paganini ? dit Maria.

— Cet homme, dit Maximilien, est l’ornement de sa patrie, et mérite sans doute la mention la plus distinguée quand on veut parler des notabilités musicales d’Italie.

— Je ne l’ai jamais vu, reprit Maria, mais selon la renommée, son extérieur ne satisfait pas complètement le sentiment du beau. J’ai vu des portraits de lui…

— Dont aucun n’est ressemblant, dit, en l’interrompant, Maximilien. On l’a enlaidi ou embelli, mais sans jamais rendre son véritable caractère. Je crois qu’un seul homme a réussi à retracer sur le papier la véritable physionomie de Paganini. C’est un peintre sourd, nommé Lyser, qui, dans sa spirituelle folie, a si bien saisi en quelques coups de crayon la tête de Paganini, que la vérité du dessin vous fait rire et vous effraie tout à la fois. « Le diable m’a conduit la main, » me disait le pauvre peintre sourd en ricanant en dessous, et hochant la tête avec une bonhomie ironique, comme il avait coutume de faire à propos de ses charges. Ce peintre fut toujours un singulier original. En dépit de sa surdité, il était enthousiaste de musique, et il paraît qu’il la comprenait quand il se trouvait assez près de l’orchestre pour lire sur la figure des musiciens, et juger, d’après le mouvement de leurs doigts, le plus ou