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représentèrent le danger qu’il courait de recevoir des démentis ; que Morus, loin d’être coupable dans l’affaire de Kent, n’avait mérité que des éloges. Le roi céda, mais avec un surcroît de haine contre l’homme dont l’innocence était plus forte que sa volonté.

Morus fut renvoyé de l’accusation : il n’y vit qu’une affaire ajournée. Quand on vint le lui annoncer : « Ce qui est différé n’est pas perdu, » dit-il ; comme si, à ce moment, il eût lu dans le cœur du roi[1].

Le duc de Norfolk, qui avait été son collègue dans l’administration précédente, et qui l’aimait, comme le secrétaire Cromwell, jusqu’au bon plaisir du roi, dont il était resté le ministre, le vint voir quelque temps après ; et, revenant sur la dernière affaire : « Par la messe ! monsieur Morus, lui dit-il, il est périlleux de lutter avec les princes. Je vous conseille donc, en bon ami, d’incliner au bon plaisir du roi : car, corps de Dieu ! monsieur Morus, l’indignation d’un prince est la mort[2]. — N’est-ce que cela, milord ? répondit Morus ; alors il n’y a d’autre différence entre vous et moi, sinon que je mourrai aujourd’hui et vous demain. Si donc la colère d’un prince ne peut donner qu’une mort temporelle, combien plus devons-nous craindre la mort éternelle où peut nous condamner le roi des cieux, si nous risquons de lui déplaire pour plaire à un roi terrestre ! »

C’est ce même duc de Norfolk qui, le trouvant un dimanche dans l’église de Chelsea, chantant la messe à pleine voix, et en surplis, lui avait dit qu’il dégradait par ces pratiques son office de chancelier d’Angleterre. C’était pourtant dans ces pratiques même, dans cette humilité de cœur et dans cette force de croyance, que Morus avait trouvé le secret de cette résistance aux colères des princes, que ne comprenait pas le duc, bon courtisan et médiocre chrétien.

x.
Le double Serment.

Ce fut le parlement de 1531 qui vota les bills d’allégeance aux descendans de la reine Anne, et de suprématie spirituelle du roi

  1. Quod differtur non auferturThe Life of sir Th. Morus, by his grandson, p. 215.
  2. Indignatio principis mors est. Sir Th. Morus, by his grandson, p. 217.