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— Oh ! j’ai aimé aussi des femmes mortes, répondit Maximilien sur les traits duquel se répandit un grand sérieux. Sans remarquer qu’à ces mots Maria tressaillit d’effroi, il continua tranquillement en ces termes.

— Oui, cela est vraiment singulier, mais j’ai aimé une fois une jeune fille qui était morte depuis sept ans. Quand je connus la petite Véry, elle me plut extraordinairement. Pendant trois jours, je m’occupai de cette jeune personne, et trouvai grand plaisir à tout ce qu’elle faisait et disait, à tous les actes de ce charmant petit être, sans pourtant que mon ame en ressentît un ébranlement de tendresse excessif. Je n’éprouvai pas, non plus, une commotion trop violente quand j’appris, quelques mois après, qu’elle était morte d’une fièvre nerveuse. Je l’oubliai complètement, et suis certain d’être resté des années sans avoir pensé à elle une seule fois. Sept grandes années s’étaient écoulées, et je me trouvais à Potsdam pour y jouir d’un bel été dans une solitude paisible. Je n’y fréquentais pas une ame, et n’avais de relations qu’avec les statues du jardin de Sans-Souci. Il arriva un jour que ma mémoire me représenta quelques traits d’une figure, et une singulière amabilité dans le langage et dans les manières, sans que je pusse me rappeler à quelle personne je les devais rapporter. Rien ne tourmente plus que de chercher ainsi à tâtons dans de vieux souvenirs. Aussi, fus-je agréablement surpris quand, au bout de quelques jours, je me souvins de la petite Véry, et je m’aperçus que cette image aimable et oubliée qui revenait troubler mon imagination, était justement la sienne. Oh ! certes, je me réjouis de cette découverte comme un homme qui retrouve, dans un moment inespéré, son ami le plus intime. Les couleurs effacées se ravivèrent, et la charmante petite personne apparut de nouveau à mon esprit, rieuse, spirituelle, boudeuse, et surtout plus belle que jamais. Depuis lors, cette douce image ne voulut plus me quitter, elle remplit toute mon ame. En quelque endroit que je me tinsse, ou que j’allasse, elle se tenait ou marchait à mes côtés, parlait avec moi, riait avec moi, mais fort innocemment et sans grande tendresse. Moi, au contraire, je tombai de plus en plus sous le charme de cette image, qui prit à mes yeux une réalité chaque jour plus certaine. Il est facile d’évoquer les esprits, mais c’est une grosse affaire de les renvoyer dans leur ténébreux néant : ils nous adres-