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l’impartialité du roi, il paraissait la mettre en doute. Henri affecta de voir dans sa lettre l’acte d’un homme qui se refusait à la discussion par défaut de preuves. Il ordonna que le bill eût son plein effet.

Blessé de cette dureté, Morus put avoir l’idée de se venger du roi, en donnant le plus grand éclat à sa défense, et il demanda à la présenter lui-même au parlement. Sa demande fut rejetée. On le cita devant un conseil composé de l’archevêque de Cantorbéry, du lord chancelier, du duc de Norfolk et du lord secrétaire Cromwell. Morus devait penser qu’il allait y être question du bill ; mais, soit que les membres du conseil n’y missent pas la même importance que le roi, soit que ce bill ne fût qu’un prétexte pour faire venir régulièrement Morus, et pour agiter sa conscience par des interrogatoires plus généraux, il ne fut parlé ni de la fille de Kent, ni de ses complices. Le lord chancelier lui vanta longuement les anciennes bontés du roi, et toutes celles dont sa majesté se plairait à le combler de nouveau, pensant l’ébranler à la fois par la reconnaissance et par un reste d’ambition. Morus répondit avec beaucoup de douceur que nul n’était plus attaché que lui au roi, mais qu’il s’étonnait qu’on lui reparlât d’un sujet dont on lui avait promis de ne plus le troubler. Les lords, jusque-là polis et caressans, prirent alors le ton de la menace, et l’accusèrent avec véhémence d’avoir été l’auteur et le provocateur du livre de sa majesté sur les sept sacremens et sur le maintien de l’autorité du pape, et d’avoir poussé le roi à mettre dans les mains du Saint-Siége une épée qui devait être tournée contre lui.

Les menaces faisaient encore moins sur Morus que les caresses. Il dit que ces terreurs étaient tout au plus bonnes pour effrayer des enfans ; puis, venant au fait dont on l’accusait, il fit l’histoire de ce livre fameux, à la grande honte du roi, qui, pour charger Morus, consentait à se donner le ridicule d’avoir signé un livre qui n’était pas de lui. Personne ne pouvait dire plus de choses que Henry à la décharge de l’ancien chancelier. Morus n’avait point conseillé le livre, il n’avait fait que le débrouiller et mettre en ordre les principales matières dont il traitait. Quant aux doctrines qu’on y établissait sur l’autorité du pape, il avait vu avec inquiétude la part énorme qu’on faisait au Saint-Siége, et s’était permis de faire observer au roi que le pape pouvant, comme prince temporel, se