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de n’y pas reconnaître un vrai côté de la nature. Cette vue est bien supérieure à un effet de lune et de coucher de soleil qui est dans la première salle de la galerie. Ce n’est pas que ce dernier tableau manque de vérité ; mais il est d’une dimension trop petite pour que les deux effets qui se contrarient n’aient pas quelque chose de bizarre et de puéril. Cette barque, qui se trouve précisément au milieu, comme pour séparer les deux teintes, rend ce défaut encore plus frappant ; la même vague, bleue d’un côté, est verte de l’autre. M. Gudin n’a-t-il donc pas songé que lorsque la mer se revêt ainsi de deux nuances opposées, c’est sur une immense échelle et avec des dégradations infinies ?

Après un Paysage, de M. J.-V. Bertin, où l’on retrouve toujours de la grace, la Plaine de Rivoli, de M. Boguet, me paraît se distinguer par d’éminentes qualités. On peut lui reprocher de la froideur ; et si je suivais toujours la foule, je passerais peut-être sans m’arrêter. Mais il y a dans cette toile un grand travail fait consciencieusement. On sent dans ce vaste horizon je ne sais quoi de pur et de triste. « L’auteur, dit le livret, fut chargé de dessiner ce champ de bataille. Napoléon voulait montrer une localité où vingt-cinq mille Français ont battu soixante-dix mille hommes qui occupaient toutes les positions. » M. Boguet a peint cette localité, et il avait une belle occasion de l’encombrer de shakos et de gibernes ; mais il n’a mis dans la vallée qu’un pâtre et une chèvre. Assurément, il y a dans cette pensée, fût-elle involontaire, quelque chose du Poussin.

Sans la loi que je me suis imposée de constater tous les succès, j’aurais voulu ne pas parler du J.-J. Rousseau, de M. Roqueplan, car je reconnais à ce jeune peintre beaucoup d’habileté. S’il devient jamais sincèrement amoureux de la nature, il sentira la différence qu’il y a entre la popularité et la mode. Watteau est aux grands maîtres de la peinture ce qu’est à une statue antique une belle porcelaine de Saxe. M. Roqueplan est coloriste. Qu’il prenne garde d’être à Watteau ce qu’est à une porcelaine de Saxe une jolie imitation anglaise.

La Retraite de Russie, de M. Charlet, est un ouvrage de la plus haute portée. Il l’a intitulé épisode, et c’est une grande modestie ; c’est tout un poème. En le voyant, on est d’abord frappé d’une horreur vague et inquiète. Que représente donc ce tableau ? Est-ce