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et qui invite à s’arrêter. L’aspect en est gai et aimable ; la scène se passe sur un quai, et, si je ne me trompe, à Florence. Un groupe de femmes regarde le peintre, tandis que les marchands, assis à terre, comptent leur argent ; un précepteur passe, l’enfant qui l’accompagne à regret se retourne d’un air boudeur ; il voudrait bien tenir ces oiseaux. Un autre enfant les suit des yeux dans l’air ; le ciel est pur, les figures délicates, les maisons blanches (trop blanches peut-être pour Florence, où tout est bâti avec une pierre brune, mais peu importe) ; il n’est pas jusqu’aux quatre lignes, qui expliquent ce tableau dans le livret, où l’on ne trouve une naïveté gracieuse :

« Souvent, en passant par les lieux où l’on vendait des oiseaux, de sa main il les tirait de la cage après en avoir payé le prix demandé, et leur restituait la liberté perdue. »

Je ne demanderai pas à M. Hesse d’après quel portrait ou quelle gravure il a peint son principal personnage, celui du Vinci ; je l’ai entendu critiquer, et je le trouve bien. On lui reproche de manquer d’expression ; mais il me semble que c’est mal raisonner. Quelle expression donner à un homme qui ouvre une cage et délivre des oiseaux ? Toute idée profonde eût été niaise, et toute apparence d’affectation sentimentale cent fois plus niaise encore. La figure est calme, jeune et digne ; c’est pour le mieux ; j’aime cet homme à ronde encolure qui est appuyé sur le parapet du pont, et qui regarde ; vrai badaud du temps, avec un grain de philosophie. La vieille femme qui lève la main est parlante, et semble un portrait achevé ; mais la première figure du groupe des femmes, habillée de rose, est raide et déplaisante, elle n’a ni hanches ni poitrine ; évidemment, dans ce personnage, M. Hesse a pensé aux vieux peintres allemands. Les deux autres femmes, les marchands, sont peints plus simplement ; il y a là une touche excellente. Le précepteur a le même défaut que la femme vêtue de rose ; les deux enfans sont charmans, pleins de naturel et de finesse. En somme, toutes les têtes sont bien ; pourquoi, avec un talent hors de ligne et qui n’a besoin d’aucun aide, se souvenir de ce qu’il y a au monde de moins simple ? Pourquoi cette robe rose, qui tombe sur un sol peint avec vérité, fait-elle des plis de convention ? À quoi bon songer au gothique, dans un tableau qui est tout le contraire du gothique, c’est-à-dire vivant et gracieux ? Du reste, je ne fais cette critique, quelque juste