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LE SALON.

Je crois qu’une œuvre d’art, quelle qu’elle soit, vit à deux conditions : la première, de plaire à la foule, et la seconde, de plaire aux connaisseurs. Dans toute production qui atteint l’un de ces deux buts, il y a un talent incontestable, à mon avis. Mais le vrai talent, seul durable, doit les atteindre tous deux à la fois.

Je sais que cette façon de voir n’est pas celle de tout le monde. Il y a des gens qui font profession de mépriser le vulgaire, comme il y en a qui n’ont foi qu’en lui. Rien n’est plus fatal aux artistes ; car qu’arrive-t-il ? qu’on ne veut rien faire pour le public, ou qu’on lui sacrifie tout. Les uns, fiers d’un succès populaire, ne songent qu’au flot qui les entoure, et qui, demain, les laissera à sec. Les conseils qu’on leur donne se perdent dans le bruit ; l’équité leur paraît envie. Couronnée une fois, leur ambition meurt de joie ; ils craignent d’étudier, de peur de différer d’eux-mêmes, et que leur gloire ne les reconnaisse plus. Les autres, trompés par les louanges de leurs amis, le succès manquant, s’irritent ; ils se croient méconnus, mal jugés, crient à l’injustice. « On les délaisse, disent-ils, et pourtant messieurs tels et tels, qui s’y connaissent, les ont applaudis. » Qui ne les goûte pas, ignorant ; ils travaillent pour trois personnes ; l’orgueil les prend, les concentre, les enivre, et le talent meurt étouffé.

Je voudrais, autant qu’il est en moi, pouvoir combattre cette double erreur. Il faut consulter les connaisseurs, apprendre d’eux à se corriger, et se montrer fier de leurs éloges ; mais il ne faut pas oublier le public. Il faut chercher à attirer la foule, à être compris et nommé par elle, car c’est par elle qu’on est de son temps ; mais il ne faut pas lui sacrifier l’estime des connaisseurs, ou, qui pis est, son propre sentiment.

On se récriera sur la difficulté de réunir deux conditions pareilles. Il est vrai que c’est difficile, car il est difficile d’avoir un vrai talent. Mais qui aime la gloire, doit le tenter. Ne travailler que pour la foule, c’est faire un métier ; ne travailler que pour les connaisseurs, c’est faire de la science. L’art n’est ni science ni métier.

Pour soutenir mon assertion, je choisirai quelques exemples. Que ceux qui ne cherchent que la popularité me disent ce qu’ils pensent des ouvrages de Maso Mansuoli, d’Arpino, de Santi Titi, du Laureti, du Ricci et de Zuggari. Ils ont régné en rois sur leur époque ; ils ont été les favoris de Pie IV, de Grégoire XIII, de