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REVUE. — CHRONIQUE.

mélodies. Si M. Mercadante s’était attardé en de pareils détails, le temps lui manquait ; il arrivait au Théâtre-Italien les lustres éteints et les portes fermées et dès-lors les directeurs pouvaient exiger de lui une somme énorme, en disant : Que parlez-vous de composition et de travail d’orchestre, il s’agit bien de tout cela : nous vous avons engagé, ainsi que cela se pratique aujourd’hui en Italie, pour écrire un opéra, et non pour le composer.

Quoi qu’il en soit, il faut le dire, les Italiens tiennent de la nature les dons de la mélodie et du rhythme, trésors de tous temps inappréciables. Des hommes forts et militant pour la cause de l’art pur, dont ils gardent le sanctuaire impénétrable, protestent, nous le savons bien, contre cette faculté heureuse de produire sans peine. Peut-être ont-ils leurs raisons pour en agir ainsi. Quant à nous, qui nous laissons tout simplement entraîner par nos sensations, il nous est impossible de ne pas l’aimer. Un Italien s’assied à son clavier, et la mélodie aussitôt s’en épanche : cela est facile, abondant et clair ; on en suit avec plaisir la pente accoutumée. Toutes ces petites musiques de Bellini, de Mercadante et de Donizetti, sont autant de ruisseaux charmans sortis des grands fleuves de Cimarosa et de Rossini.

La partition nouvelle de M. Mercadante abonde en phrases touchantes, en cantilènes tendres et plaintives, en motifs ingénieux et faciles. Je le sais, cette mélodie a le tort de manquer souvent de distinction et d’originalité, de franchise et de puissance. C’est là une inspiration qui compte quelque peu sur celle du chanteur ; mais après tout, qu’importe ? puisqu’une si délicieuse harmonie en résulte, pourquoi se gendarmer si fort contre tout ce qui fait plaisir ? Vous convenez que le duo entre Lablache et Rubini dans le second acte des Brigands est une des plus ravissantes choses qui se puissent entendre le soir ; eh bien ! alors, que signifient ces grandes colères contre un système qui n’a pour but que votre amusement et qui presque toujours atteint son but ? Personne plus que nous n’admire les mâles produits du génie austère de l’Allemagne. Le duo d’Armide est une inspiration sublime, la symphonie en la un magnifique morceau de musique, le chœur des moines dans les Huguenots, un chef-d’œuvre ; mais certes, nous sommes bien loin de croire que cette religion ne puisse se concilier avec la fréquentation d’une Muse plus familière ; rien n’est plus ennuyeux que ces gens qui versent des larmes pour une cabalette chantée hors de saison, et qui, sur une roulade intempestive de la Grisi, se couvrent le front de cendres et vont partout annonçant à l’univers la ruine prochaine de l’art. Autant le grand art est admirable chez lui, dans la salle du Conservatoire, lorsqu’il emporte toutes les ames vers le ciel dans les chaudes inspirations de Beethoven et de Weber, autant il est insupportable lorsqu’il chemine par la ville, en robe noire de docteur, et tance vertement ceux qui se permettent de chanter à leur guise et sans lui demander conseil. Il me semble voir un pédant qui se promènerait par une belle matinée de printemps, un volume d’Horace à la main, et parlerait latin aux chardonnerets, jaseurs éveillés dans les arbres.

Comme Donizetti, M. Mercadante traite l’harmonie avec un soin bien