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de M. Thiers un premier ministre, ce dont il se dit très innocent. Que M. de Talleyrand ait changé d’avis, nous l’admettons sans peine. Un esprit aussi supérieur s’instruit et se modifie bien vite par les faits. Il se peut aussi que l’impression produite en Europe par la nomination de M. Thiers n’ait pas été celle qu’attendait M. de Talleyrand ; mais il n’est pas moins vrai que Mme la duchesse de Dino, que Mme la princesse de Liéven, et la diplomatie russe ont contribué, de leurs démarches et de leur influence, à la nomination de M. Thiers, et que le nom de M. de Talleyrand a été mis en avant dans cette longue intrigue, qui date de six mois. Encore une fois, on peut changer d’avis. M. de Talleyrand, qui avait conseillé à Napoléon la guerre d’Espagne de 1808, ne l’improuva-t-il pas l’année suivante ? Toujours est-il que M. de Talleyrand désavoue M. Thiers aujourd’hui, et que la bienveillance des puissances du Nord, qui devait accueillir le nouveau président du conseil, ne semble pas près de se manifester, si l’on en juge par les insultes que la Gazette d’Augsbourg prodigue à la France, et au sujet desquelles M. de Mornay a demandé des explications à M. le ministre des affaires étrangères, dans la séance du 25 mars. M. Thiers a ajourné les explications à la discussion du budget ; et, depuis, la Gazette d’Augsbourg a renouvelé ses offenses, par des lettres datées de Berlin. Cette nouvelle insolence exige une explication du ministre de Bavière, dont le gouvernement tient la Gazette d’Augsbourg sous sa censure. Le devoir de M. Thiers est de demander satisfaction, et il l’obtiendra sans doute. Mais on ne peut s’empêcher de remarquer que cette irritation est due aux idées d’intervention en Espagne, que M. Thiers a exposées plusieurs fois dans le conseil, sous la présidence de M. de Broglie. Sans doute, la France saura faire respecter ses décisions, quelles qu’elles soient ; elle ne reculera pas devant les menaces anonymes de la Prusse, pas plus qu’elle ne recula devant ses démonstrations militaires, quand elle eut résolu le siége d’Anvers. La France est au-dessus de quelques misérables forfanteries qu’elle méprise ; mais que deviennent les espérances que M. de Talleyrand et la princesse de Liéven avaient conçues en appuyant la présidence de M. Thiers ? Le désaveu de M. de Talleyrand s’explique à présent ; et M. Thiers fera bien de se tourner de nouveau vers l’Angleterre, comme il s’est tourné vers le tiers-parti, le tout en gémissant, et bien malgré lui.

Un premier germe de division a éclaté, il y a peu de jours, dans le conseil, au sujet de deux projets de loi, que le dernier cabinet s’était engagé à présenter à la chambre dans cette session, savoir : le projet qui donne le domaine de Rambouillet en apanage à M. le duc de Nemours, parvenu à sa majorité, et une loi qui ouvre un crédit d’un million à la liste civile, pour le paiement de la dot de la reine des Belges. La discussion de ces deux projets étant venue à son tour dans le conseil, on a été fort étonné de voir M. Thiers s’opposer avec véhémence à leur présentation. M. Thiers était soutenu par MM. Passy, Sauzet et Pelet de la Lozère, qui, n’ayant pris aucun engagement de ce genre, combattaient les projets en toute liberté. Il avait pour adversaires M. de Montalivet et le maréchal Maison. On assure que cette séance fort orageuse se termina par