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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

et sous prétexte de professer le droit international, fit un véritable cours d’histoire contemporaine, où Napoléon tenait naturellement la plus grande place. Ces lectures durèrent, si j’ai bonne mémoire, trois semestres, et furent suivies par une affluence inouie d’auditeurs, en grande partie étrangers à l’université. Le professeur eut toute l’impartialité que permettait sa position, et le gouvernement prussien ne s’avisa pas de le faire rentrer dans les limites de son programme.

Nous connaissons beaucoup et trop de vers inspirés par la mémoire de Napoléon ; mais je ne sache pas que la France ait produit un recueil tout entier consacré à cette pensée, comme celui qu’un Allemand, le baron Gaudy, vient de publier à Leipzig. La vie du héros y est chantée en odes ou dithyrambes, ayant chacun pour objet un épisode de cette existence qui a rempli le monde. C’est sous ce rapport, et comme symptôme de cette réaction fatale dont j’ai parlé, que ce livre est surtout curieux. L’auteur ne paraît avoir été animé par aucune idée politique. Son point de vue unique est la gloire napoléonienne, sa seule préoccupation, cette grandeur qui domine toute grandeur depuis la chute de l’empire romain, dont elle résuma la puissance dans l’espace de quinze ans. Cette monographie poétique a le défaut inhérent aux compositions de ce genre. Quoique l’écrivain semble avoir attendu et choisi l’inspiration, la circonstance et le parti pris empêchent la poésie de s’y faire jour autant que cela eût pu être. On a beau varier les formes et les tons, rechercher les cadres étranges, l’idée unique fait toujours sentir sa présence, et non moins que le lecteur, gêne l’auteur qui appréhende l’épuisement. M. Gaudy est quelquefois poète d’une manière trop remarquable, pour qu’on ne doive pas attribuer à cette cause l’enthousiasme monotone et raisonnable qui remplit beaucoup de ses pages.

Denknisse eines Deutschen, etc. (Souvenirs d’un Allemand, ou Voyages du vieux Barbu), par Karl Schœppach.

C’est au milieu de ce mouvement de justice historique qui anime aujourd’hui l’Allemagne à l’égard de Napoléon, de cette sorte de palingénésie de l’opinion publique, que se présente, l’ironie sur les lèvres, et l’air matamore, un vainqueur inconnu du grand homme. Ce redoutable personnage qui prépara, à l’en croire, la chute du tigre de Corse (style de 1814), nous dévoile avec une satisfaction posthume, non ses plans, mais ses petites niches politiques, vieilles de vingt-cinq ans. Je ne me rappelle pas qu’il dise avoir fait partie du Tugendbund, mais cela me paraîtrait beaucoup trop grave pour lui. Je me figure cet homme qui se donne, je crois, pour fils d’un ministre protestant, comme un de ces lous-