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qui ne la soulève guère qu’une fois ou deux, et seulement en passant. En effet, dans un temps où le sort de la civilisation est peut-être entre les mains de la jeunesse, on doit se demander, en pensant à l’organisation des universités d’Allemagne, si les modifications qu’une politique effrayée a fait subir à ces établissemens doivent porter préjudice à la science, d’une part, et de l’autre éloigner le but auquel tendent tous les esprits avancés, but qui serait, dit-on, la révolution. Les intérêts de la science ! M. de S., qui regrette pourtant les temps des bonnes folies universitaires, ne nous prouve pas dans sa fable ou dans son récit, qu’on leur ait nui grandement. Nous sommes d’avis, nous, qu’on les a favorisés. En effet, suivant l’auteur, en quoi consiste la vie des dix-neuf vingtièmes des étudians allemands ? à subir les lois d’une association quelconque, la Burschenschafft ou la Landmannschafft, boire, ferrailler, boire encore, user son temps dans des pratiques ridicules quand elles ne sont rien de pis, briguer avec ardeur des distinctions de camaraderie qui ne vont guère à tuer la vanité humaine, qu’on prétend fièrement regarder comme la lèpre de ces temps-ci, vivre dans la crapule et la grossièreté, mépriser souverainement les Philistins, n’avoir de rapport avec eux que pour les battre ou en obtenir du crédit ; enfin, au lieu de sympathies généreuses, n’inspirer aux citoyens que l’idée du gain sordide qui rachète l’inconvénient d’héberger dans sa petite ville quelques centaines de mauvais sujets. Je n’exagère pas. Qu’on lise M. de S. ! Tous les jours son héros et ses camarades sont ivres. Tous les matins, ils éprouvent ce que j’appellerai de son nom allemand, Katzeniammer, dont ils ne se délivrent que par un nouvel excès obligé. C’est le cercle vicieux à sa plus haute puissance. Et qu’on ne croie pas que cela se passe seulement ainsi chez les Landmannschaffter ou corporations de nations. Ceux-ci sont en effet les sensuels. Ils laissent la politique se faire toute seule ou l’attendent à sa maturité, et ne songent pour le moment qu’à jouir de tout ce que Dieu a donné à l’homme sur la terre ; ils usent et abusent au-delà de toute satiété. Les Burschenschaffter font de même dans le fait, sauf deux exceptions ; ils ne permettent pas la galanterie, et établissent le club politique au cabaret. Du reste, chaque espèce d’association a son commerstag régulier, diète d’ivrognerie officielle où l’on doit s’enivrer en grand, tandis qu’on ne fait chaque jour que s’enivrer en détail dans les cabarets protégés par les affiliés. Les jours de commerstag sont en outre signalés par des mascarades que les Landmannschaffter rendent assez plaisantes et surtout fort coûteuses. Les Burschenschaffter se distinguent par la couleur sombre et mystérieuse donnée à ce divertissement ; l’ivrognerie y est plus bouffie, plus sonore et plus vertueuse. Quant aux duels, c’est la moindre chose, et nous aurions mauvaise grace à en parler. Un étudiant de bonne