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arrive en terre étrangère, on ne s’informe pas de sa famille, mais des postes qu’il a occupés, des négociations où il a figuré, et de l’époque où il a commencé de prendre part aux affaires. À Madrid, sous Ferdinand vii, M. de Rayneval, simple bourgeois, trouva un crédit et une influence que le descendant des ducs d’Harcourt n’eût obtenus en aucun temps. On rapporte même que la naissance illustre de M. le comte Eugène d’Harcourt, qui remplit quelque temps les fonctions d’ambassadeur du gouvernement de juillet à Madrid, nuisit singulièrement à ses négociations. M. Salmon était ministre des affaires étrangères. C’était un bourgeois de Madrid, un vieux commis, parvenu à force de capacité et de service ; et dans les conférences, chaque fois que l’ambassadeur élevait la voix ou insistait avec vivacité sur un point en litige, le ministre levait la séance, en disant que la hauteur aristocratique du grand seigneur français rendait impossible toute discussion. M. d’Harcourt quitta Madrid, d’où l’éloignèrent ces fâcheuses et injustes préventions, et un premier secrétaire d’ambassade termina toutes les affaires sans trouver les mêmes difficultés. Il est vrai que ce premier secrétaire d’ambassade était un bourgeois, non pas arrivé inopinément à son poste, par la seule recommandation du nom de ses ancêtres, mais parvenu de grade en grade, après dix ans de services et une vie entière consacrée à l’étude de la diplomatie.

Nous sommes loin d’espérer que M. Thiers mettra un terme aux intrigues et aux manœuvres de son nouveau département. Nous ne pensons pas, nous l’avouons, que là plus qu’ailleurs il ait la pensée de faire naître l’ordre, la bonne foi et la moralité, ni qu’il lui plaise de reconstituer la carrière diplomatique, en donnant l’essor au talent, et en reléguant dans une sphère secondaire les prétentions aristocratiques, quand elles ne sont fondées que sur un nom. M. Thiers n’a, pour opérer une telle réforme, ni la volonté, ni la liberté, ni la puissance qu’il faudrait. Dans la situation que lui a faite son impatiente ambition, M. Thiers ne saurait faire un pas vers le bien ; il restera, comme par le passé, l’agent d’une intrigue de théâtre, comme le lui disait spirituellement un journal où il compte des amis cependant. Dans la crainte qu’on ne l’accuse de dévier vers la gauche, dans la sainte terreur que lui inspire encore l’influence des doctrinaires, il flottera indécis entre les idées les plus opposées ; il cherchera à donner le change à tous les partis, à tromper tout le monde, faute de pouvoir dominer personne, et il continuera, aux affaires étrangères, l’administration de M. de Broglie, moins l’attachement aux principes et le respect pour les engagemens, qui faisaient quelquefois oublier la rudesse et la fausseté des vues du dernier ministre.

Jamais, en effet, situation ne fut plus équivoque que celle de M. Thiers, placé entre le parti doctrinaire et le tiers-parti, entre la Russie et l’Angleterre, traitant aujourd’hui avec M. Guizot et demain avec M. Barrot, l’allié de lord Granville et l’ami de M. de Pahlen ; situation où l’activité et le talent sont dépensés en misérables subterfuges, qui épuiseraient l’intelligence la plus noble et la plus haute ! Quel rôle jouerait cependant aujourd’hui un ministre des affaires étrangères qui apporterait avec lui une pensée politique, et qui entendrait réellement la dignité de son pays ! Quelle puissance la France exercerait par ses agens diplomatiques à