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son système de douanes vers les états du Rhin. Les agens de la France ne laissèrent pas ignorer au ministre des affaires étrangères les démarches de la Prusse, la suite admirable, la persévérance qu’elle mettait à ses négociations. Les hommes les plus nouveaux dans la diplomatie jetèrent l’alarme dans leurs dépêches ; M. de Vaudreuil, M. de Mornay, implorèrent en vain l’attention et l’appui du ministre ; M. de Broglie ne s’émut pas, et tour à tour la Bavière, la Hesse, Bade, et tous les états du Rhin, accédèrent au système de douanes de la Prusse, qui vient de se faire ouvrir les portes de Francfort-sur-le-Mein et de Berne, et qui frappe maintenant aux portes de la Belgique qu’on lui ouvrira. Si la guerre éclate un jour entre la France et le Nord, elle sera provoquée par l’extension de ce système de douanes, qui fait de la Prusse le siége du crédit de l’Allemagne, et qui nous cerne plus étroitement que ne pourraient le faire des armées.

M. de Broglie avait trouvé des négociations ouvertes avec les États-Unis au sujet des vingt-cinq millions, et deux fois M. de Broglie a occupé le ministère sans mener à fin cette négociation qui se complique tous les jours. L’affaire de Bâle-Campagne, née d’un malentendu et d’une distraction de M. de Broglie, qui avait mal interprété nos conventions avec les cantons helvétiques, s’est envenimée par l’inflexibilité du ministre, et quelque jour, au moment le plus inattendu, une rupture avec les treize cantons sera le résultat de cet abus de pouvoir et de cette triste obstination.

L’occupation de Cracovie avait été annoncée à M. de Broglie, et Cracovie a été occupée sans que nous eussions envoyé un agent diplomatique pour protester contre cette nouvelle infraction à des traités dont il nous importe de constater l’anéantissement par les puissances intéressées à les maintenir.

Voilà quelques-unes des nombreuses fautes du dernier ministre des affaires étrangères, que nous n’avons mission ni de grossir ni de dissimuler. Puisque nous accomplissons cette pénible tâche, nous ajouterons que la probité cassante de M. de Broglie nous eût successivement brouillés avec les puissances des deux continens. Un trait distinctif du caractère de M. de Broglie, c’est le goût des exclusions. Il aime à borner le plus étroitement son estime et ses affections ; dans les chambres, il s’adressait toujours au plus petit nombre ; dans son salon, et dans ses réunions intimes, il se plaît à n’être compris que de quelques adeptes, les seuls à qui il accorde quelques explications. Trois auditeurs suffisent à M. de Broglie, et il en préférerait deux ou même un seul à ces trois. De là le peu d’influence qu’exerce l’incontestable, mais ténébreuse supériorité de son esprit ; de là aussi le nombre si minime de ses partisans. M. de Broglie avait ainsi élu quelques états de l’Europe, qu’il avait admis dans le cercle étroit de ses relations. Quant aux autres nations, il les traitait comme il traite les hommes qui ne sont pas de sa coterie ; il ne les reconnaissait pas, et prenait à peine note de leur existence sociale. Or, les nations, pas plus que les hommes, n’aiment à être dédaignées, et le canton de Bâle-Campagne s’était insurgé contre M. de Broglie en même temps que le tiers-parti.

Ces vues, M. de Broglie les a également appliquées au personnel des