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L’ESPAGNE EN 1835.

Tels étaient les hommes qui assiégeaient, à l’aurore, les portes de Valence. Les sabres et les escopettes dont ils étaient armés leur donnaient une physionomie encore plus farouche. Mais la politique n’entrait pour rien dans leur expédition : ils ne venaient ni venger les suppliciés de la veille, ni prêter main-forte aux constitutionnels ; ils ne songeaient ni à piller la ville ni à tuer les bourgeois ; leurs prétentions étaient plus modestes : ils demandaient la suppression des droits d’octroi. On parlementa quelques instans ; mais les bourgeois étaient trop heureux de s’en tirer à si bon marché pour ne pas capituler. Les droits furent supprimés, et, après trente-six heures de clôture, les portes furent rouvertes à neuf heures du matin. Il en était temps, car on commençait à manquer de vivres, et la disette approchait.

À peine les portes furent-elles ouvertes, qu’une nuée de maraîchers s’élança dans la ville au grand galop ; on eût dit qu’ils voulaient la courir, ainsi que cela se pratiquait au moyen-âge : ils avaient des vues moins belliqueuses, ils allaient tout simplement au marché, et se pressaient pour avoir les bonnes places. Un spectacle que personne n’avait vu auparavant, que personne ne reverra sans doute de long-temps, et qui était piquant par sa nouveauté même, c’était l’oisiveté inusitée des gabeleurs ; ils se promenaient les bras croisés, et s’étonnaient de leur propre inaction. Ce n’est pas que la besogne eût manqué, car on usait largement de la licence ; chacun voulait introduire quelque chose, ne fût-ce qu’une outre de vin, et c’était un concours incroyable. Les gros négocians, suivant l’usage, exploitèrent la circonstance à leur profit : ils introduisirent tout ce qu’ils purent de marchandises ; et le trésor fut, dit-on, frustré, dans cette seule journée, de onze mille piastres. Le lendemain, cependant, on recommença de payer les droits, mais suivant le tarif de 1808.

Les jours suivans furent tranquilles, quoique inquiets ; on ferma les couvens, ou plutôt ils se fermèrent d’eux-mêmes. Les moines, effrayés s’étaient sécularisés de leur propre mouvement : ils avaient déserté le cloître et revêtu l’habit laïque ; on les reconnaissait à leur gaucherie et à leur embarras. Ils regrettaient leurs grandes robes, et se familiarisaient mal avec le frac et la cravate.

La victoire étant restée aux urbains, il était douteux qu’ils s’en tinssent là, car un premier succès est une amorce ; on y prend