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L’ESPAGNE EN 1835.

seraient pas avisés ; la civilisation ne sert qu’à raffiner la mort. Aujourd’hui même encore, n’apprenons-nous pas que la vieille mère de Cabrera vient d’être fusillée à Saragosse, en expiation des victoires de son fils ? Déjà emprisonnées, les trois sœurs du partisan sont menacées du même sort. Quelles affreuses représailles ne préparent pas de pareilles vengeances !

Ce Cabrera est un chef carliste dont la bande est, en ce moment, la terreur de l’Aragon ; il était alors dans le royaume de Valence, presque à la porte de la ville, dans les environs de Chelva et coupait la route de Cuença. Quilez, un autre chef de guerilla, occupait les frontières du Bas-Aragon et coupait toute communication avec la province de Teruel. Retranché dans les inexpugnables gorges du Maestrazgo, déserts inaccessibles et tourmentés, il était insaisissable, et faisait de là des descentes jusque sur la route de Barcelone. Il avait, quelques jours auparavant, volé les chevaux de la diligence, et la veille brûlé les dépêches du courrier. Les routes du midi, vers Alicante et Murcie, n’étaient guère plus sûres, et sans être entièrement fermées, elles étaient inquiétées par Cuesta et d’autres factieux du même ordre. Ainsi Valence se trouvait bloquée de tous les côtés à la fois, excepté vers la Manche ; encore apprit-on un jour que la diligence de Madrid venait d’y être dévalisée. Était-ce par les voleurs ? était-ce par les factieux ? c’est ce qu’il fut impossible de savoir. En Espagne la distinction n’est pas toujours facile à établir.

J’étais bien informé, car je tenais ces détails du capitaine-général ; c’est lui-même qui me mit au fait de la position. Je voulais aller à Ségorbe, il m’en dissuada, car je risquais de tomber aux mains des bandes carlistes ; or je m’en souciais peu. Deux voyageurs anglais qui avaient affronté la rencontre n’avaient pas eu lieu de s’en féliciter ; arrêtés sur la route de Castellon de la Plana, on leur avait pris la bourse et arraché la barbe, poil à poil. Le procédé était peu fait pour me tenter, je me rendis aux raisons du capitaine-général ; et comme je lui demandais s’il n’envoyait pas de troupes contre ces furieux : — Quelles troupes ? me répondit-il, elles sont toutes en Navarre ; je n’ai pas trois cents hommes sous la main. Ce sont les urbains qui font le service. — Je compris alors que la milice urbaine était maîtresse de la ville et que l’autorité était à sa merci.

En quittant le palais, je passai par la rue de Saragosse, la plus